Exposition Richard Pak « La Firme » > 24 oct. 2024 – 5 janv. 2025 – Fermetures exceptionnelles à 16h les 24 et 31 décembre.
Du mardi au dimanche de 11h à 18h au 58 allées Charles de Fitte (nouveau lieu pendant la durée des travaux).
Le portrait photographique
Modifié le :
- Des anthologies pour une vue d’ensemble
- Le portrait, du noir et blanc à la couleur : quelques exemples majeurs
- En pratique, des guides pour réfléchir sa prise de vue
Identités sociales et de communautés
- Le portrait documentaire
- Le portrait de rue
- Le portrait « engagé » et la photographie sociale
- L’intimité dévoilée
Photographes ambulants et studios africains
- Les chambres de rue
- Imaginaire indien
- Traditions africaines
- Collages, surimpressions, pliages
- Le portrait fictionnel
- Drôles de bobines
Une introduction au portrait
Prenez quelques repères historiques et techniques sur le portrait avant de vous lancer ! Remontez aux origines du portrait dans l’histoire de la photographie. Explorez les usages sociaux du portrait et (re)découvrez quelques grands portraitistes.
Des anthologies pour une vue d’ensemble
Phillip Prodger, Alter ego, Une histoire du portrait en photographie, Textuel, 2021
Philip Prodger est historien d’art et directeur à la National Portrait Gallery de Londres. Il explore en 250 photographies (du daguerréotype à l’ère numérique) la diversité des intentions du portrait: fidélité au visage, relation au modèle, mise en scène de soi. Établi en un parcours thématique transversal aux époques il questionne la pertinence de la photographie à représenter l’identité humaine. Un bon point de départ, érudit et accessible, sur le portrait comme genre que l’on retrouve dans de nombreux domaines : celui de l’anthropologie, de la mode, de la publicité, de la photographie narrative, documentaire ou vernaculaire.
Max Kozloff, The Theatre of the face, portrait photography since 1900, Phaidon, 2007
Ouvrage de référence essentiel pour qui veut appréhender de façon complète (et en anglais) l’histoire du portrait, The Theatre of the face embrasse tout le XXe siècle en convoquant les principales figures du genre, des pionniers aux classiques, mais en envisageant également des photographes moins connus. Divisé en six chapitres thématiques et chronologiques, ce grand « théâtre du visage » est raconté dans un style personnel, Max Kozloff voulant surtout dévoiler des « histoires de portraits« .
Revue Exit n°87, Portrait typologies, juillet 2022
L’excellente revue espagnole Exit nous propose un numéro consacré au portrait, s’attachant plus spécifiquement à montrer le travail de photographes de la fin du XXe et du XXIe siècles. En préambule, un essai de Rosa Olivares qui analyse l’utilisation du portrait dans la photographie par différents artistes tels que Germán Gómez, Thomas Ruff ou Catherine Opie. La section portfolio offre le travail de Céline Bodin, Matthew Leifheit, Rubén Martín de Lucas, Soumya Sankar Bosey et Dana Ariel entre autres, soit quelques représentants de la nouvelle génération de photographes.
Le portrait, du noir et blanc à la couleur : quelques exemples majeurs
Nicolas Chaudun, Camera obscura, Musée du Quai Branly, 2007
Ce catalogue d’exposition du Quai Branly livre trente images réalisées principalement par Charles Guillain (1808-1875), Henri Jacquart (1809-après 1873) ou bien encore Louis-Auguste Bisson (1814-1876), auteur du fameux portrait d’Honoré de Balzac. Ces clichés primitifs des années 1840 constituent donc les premiers portraits photographiques concernant des non-européens (d’Afrique ou des iles Canaries). Destinées à être exploitées à des fins scientifiques, ces images fantomatiques obtenues grâce à la chimie complexe du daguerréotype permettent de nous projeter dans les balbutiements de la photographie.
Nadar, Photo poche,1997
Le journaliste, critique d’art, essayiste, auteur et caricaturiste Félix Tournachon dit Nadar (1820 – 1910) a fait des portraits pendant une courte période (entre 1854 et 1860), mais qui vont marquer l’histoire de la photo. Travaillant à la lumière naturelle dans son atelier de la rue Saint-Lazare à Paris, il prend des clichés d’Alfred de Vigny, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Gustave Doré ou Baudelaire. Un « sentiment de la lumière » et un « côté psychologique » de la photographie qui ont créé son style désormais intemporel, essayant de capturer ses amis célèbres dans leur vérité et leur simplicité.
William Eggleston, Portraits, National Portrait Gallery, 2016
Son exposition emblématique de 1976 au MOMA de New York va consacrer la photo couleur, jugée vulgaire avant que ce grand photographe ne s’en empare. William Eggleston va expérimenter dès 1965 le film négatif couleur et en faire un art. Né en 1939 et originaire de Memphis (Tennessee), il va documenter la vie quotidienne du sud des Etats-Unis en faisant le portrait d’anonymes, de musiciens ou d’acteurs (comme Dennis Hopper ou Ike Turner). Ce livre contient notamment le premier portrait couleur, daté de 1965, celui d’un jeune homme poussant un caddy dans un supermarché : son style était né.
Richard Avedon, Les Sixties, Plume, 1999
Le portrait doit également beaucoup à Richard Avedon, grand photographe de studio, qui s’est essayé à ce genre après avoir exploré la photographie de mode (il fut notamment directeur de la photographie du Harper’s Bazaar de 1945 à 1965). Portraits solarisés des Beatles, de Black Panthers, d’habitués de la Factory d’Andy Warhol ou d’avocats des droits civiques : en noir et blanc ou en couleur, il va fixer cette période bouillonnante et libertaire dans des clichés plein de vie et de mouvement, envisageant le portrait comme témoin de son époque.
Photographien Annie Leibotvitz 1970-1990, Schirmer / Mosel, 1991
Avec cinquante ans de carrière, Annie Leibovitz est l’une des portraitistes les plus célèbres au monde. Elle a commencé sa carrière comme photojournaliste pour le magazine Rolling Stone en 1970, et a collaboré depuis avec les grands magazines tels que Vanity Fair ou Vogue. Ses portraits de célébrités réalisés en noir et blanc et en couleur sont de véritables collaborations entre l’artiste et le modèle. Certains sont devenus célèbres, comme le portrait de Keith Haring en1986, ou celui de John Lennon nu, enlaçant Yoko Ono, quelques heures avant sa mort brutale. Depuis 2017, ses archives sont conservées par la Fondation Luma – Arles.
Judith Roy Ross, Photographies 1978-2015, Atelier EXB, 2022
Né en 1946, l’américaine Judith Roy Ross laisse une œuvre de portraits pris en dehors du studio. Réalisés à la chambre photographique au gré des rencontres, ses portraits concernent principalement les classes populaires du nord-est de la Pennsylvanie, région où elle est née, a grandi et vit. Ces photographies, à l’opposé de tout sensationnalisme, renvoient une impression de profondeur, de douceur et de vérité. Contrairement à à la plupart des grands portraitistes avant elle, comme Nadar ou August Sander, Judith Roy Ross Ross n’a jamais eu de studio ou d’activité commerciale. Cette première monographie en français consacrée à l’artiste, accompagnait la rétrospective organisée par le BAL en 2022.
Les multiples usages et fonctions sociales du portrait
Tom Wood, Mères, filles, sœurs, Textuel, 2019
Le grand photographe irlandais Tom Wood (né en 1951) a réalisé pendant trente ans, des années 1970 aux années 1990, des portraits de familles. Il s’est focalisé plus particulièrement sur la filiation féminine, comme l’indique le titre de l’ouvrage. Ces portraits d’une grande empathie racontent la vie quotidienne de femmes de tous âges. Souvent prises dans la rue, devant des supermarchés, dans des espaces publics poussettes à la main, ou prenant la pose devant leurs habitations, elles révèlent avec une simplicité travaillée toute l’intimité de ces liens indéfectibles, entre complicité et protection mutuelle.
Rineke Dijkstra, Portraits, Schirmer/Mosel, 2005
L’artiste néerlandaise (née en 1959), connue pour ses portraits en couleur et en grand format, déroule une approche photographique sobre et minimaliste. Sa série « beach portraits » (1992-2002) est constituée d’adolescents posant en maillot de bain sur la plage, tandis que « new mothers » (1994) montre des femmes nues venant d’accoucher et portant leurs bébés. Les deux séries donnent à voir des personnages toujours photographiés de plein pied, comme ses portraits de soldats qui occupent frontalement l’espace devant des fonds gris anonymes. Une approche documentaire stylisée et distanciée qui a fait sa marque de fabrique.
Anne Delrez, L’album étalon, Les Éditions de La Conserverie, 2016
La Conserverie, dirigée par la photographe Anne Delrez (née en 1971), est à la fois un fonds iconographique dédié à la photo de famille, un lieu d’exposition, un centre de ressources et une librairie. Egalement éditrice, Anne Delrez a notamment publié L’album Étalon, un livre qui compile des photos aux bords dentelés d’anonymes et de leurs familles, clichés d’un quotidien en noir et blanc des années 50/60. Véritable radiographie d’une France populaire, ces portraits forcément amateurs sont le riche versant d’une photographie dénuée de toute prétention, si ce n’est de fixer des souvenirs paisibles d’une vie.
Raynal Pellicier, Photomaton, Éditions de la Martinière, 2013
La photographie d’identité pourrait être l’essence même du portrait, grâce à l’invention du photomaton. Breveté en 1925, il n’a cessé depuis de témoigner de nos existences, un usage populaire de la photographie transcendé dans ces cabines automatiques accessibles à tous. Cette « photographie sans photographe« , où l’on se retrouve face à soi-même, fut rapidement investie par les artistes, des surréalistes aux plus contemporains, en passant bien évidemment par les plasticiens pop comme Andy Warhol. Le livre propose plus de trois cents images, d’anonymes, d’artistes ou de célébrités.
En pratique, des guides pour réfléchir sa prise de vue
Olivier Chauvignat, Les secrets de la photo de studio, Éditions Eyrolles, 2020
Olivier Chauvignat vulgarise dans ce guide illustré toutes les spécificités techniques propres à la photographie de studio : choix du matériel, mesure de l’exposition, utilisation de l’éclairage, du cadrage, de la perspective entre autres, jusqu’à comment diriger un modèle. Il envisage également la post-production et donne 20 exemples de « setups », du portrait de mode aux parties du corps. Un ouvrage qui peut s’adresser aux débutants.
Rossella Vanon, L’éclairage pour la photo de mode et de portrait, Éditions Eyrolles, 2017
Spécifiquement axé sur l’utilisation de la lumière en photographie, ce guide propose non seulement des conseils techniques tels que l’utilisation du flash et de la lumière naturelle, mais également des conseils concernant la création d’atmosphère (éclairage indirect, reflets ou clair-obscur) ou de « scénarios » en fonction du sujet abordé. Des photos analysées par l’auteure permettent aussi de se rendre compte de l’effet escompté. Didactique et richement illustré, il vous sera utile pour compléter votre formation de portraitiste en herbe.
Milena Perdriel, Portrait corporate, Éditions Eyrolles, 2021
Ce livre aborde de façon complète et concrète toutes les facettes du « portrait corporate » ou « portrait d’entreprise », c’est-à-dire des photos réalisées en studio et destinées à figurer sur un CV, sur des cartes de visite, des réseaux sociaux, ou à donner une image professionnelle d’une entreprise. Celui-ci possède ses codes et techniques spécifiques que Milena Perdriel décortique, de la prise de vue à l’Editing et au post-traitement, tout en analysant ce marché particulier et important de la photo.
Dawoud Bey, On Photographing People and Communities, Aperture, 2019 / Mary Ellen Mark, On the portrait and the moment, Aperture, 2020
Ces deux ouvrages offrent une approche plus personnalisée des pratiques photographiques, à travers le regard d’artistes renommés. Dawoud Bey (né en 1953), connu pour ses portraits d’Afro-Américains dans les rues et Mary Ellen Mark (1940-2015), membre de l’agence Magnum, décortiquent de nombreuses photos, dont certaines devenues iconiques. Ils racontent ainsi leur création : une expérience unique dévoilant leurs secrets de fabrique, ou encore leurs intentions profondes. Ces deux ouvrages s’inscrivent dans une collection nommée « The photography workshop series », permettant de s’approcher au plus près du processus créatif des photographes.
Identités sociales et de communautés
Le portrait peut avoir la valeur d’un témoignage d’une époque, d’une communauté particulière ou d’une classe sociale. Ici le visage se fait symbole ; la photographie dévoile un univers particulier avec ses codes, permettant de montrer à la fois une image de soi et une image du monde, qu’elle soit une reproduction fidèle ou onirique.
Le portrait documentaire
August Sander, Hommes du XXe siècle, Chêne/Hachette,1980
Le célèbre photographe allemand August Sander (1876-1964) avait pour ambition de chroniquer son temps de la façon la plus objective possible. Il s’est attaché à photographier par le biais de portraits les Allemands de l’Epoque Impériale, de la République de Weimar, de l’ère national-socialiste, jusqu’aux premières années de l’Allemagne de l’Ouest. Il voulait être le plus fidèle à la réalité, de façon obsessionnelle. Hommes du XXe siècle est le projet de sa vie ; il fonctionne comme un inventaire sociologique de toutes les classes sociales : mères de famille, travailleurs, industriels, sportifs, fonctionnaires ou artistes défilent devant son objectif, construisant une œuvre monumentale qui a fait date dans l’histoire de la photo.
Martín Chambi 1920-1950, Circulo de Bellas Artes, Lunwerg,1990
Le photographe quechua Martín Chambi (1891-1973) a pris plus de 45 000 photographies entre son studio de Cuzco et ses voyages à travers les Andes. Ses portraits de paysans dans leur vie quotidienne, leurs rites et leurs vêtements forment un témoignage social qui a contribué à rendre visible les identités des peuples indigènes du Pérou. Reconnu après sa mort, il est un des pionniers de la photographie latino-américaine.
Voir aussi le livre Martín Chambi, fotografía, RM editorial, 2021
Dorothea Lange, Le cœur et les raisons d’une photographe, Seuil, 2002
Dorothea Lange (1895-1965) est connue et respectée pour son travail mandaté par la Farm Security Administration (FSA) pendant la Grande Dépression aux Etats-Unis. Une pratique documentaire engrangeant des archives visuelles de ces années de crise, dont certaines images deviendront iconiques. Délaissant son activité de portraitiste de studio pour aller à la rencontre de ses compatriotes, elle va prendre en photo de nombreux anonymes subissant la précarité due à cette crise majeure du XXe siècle. Elle continua dans les années 50/60 à faire des portraits en Egypte, en Afrique du nord et en Asie, toujours dans ce même esprit documentaire et engagé, le plus proche de la réalité possible.
Berenice Abbott, Portraits parisiens (1925-1930), Steidl, 2016
Berenice Abbott (1898-1991), formée auprès de Man Ray, réalisa ces portraits parisiens dans son studio à Paris et se rendait parfois au domicile du client, comme pour James Joyce. Une galerie de gens célèbres issus du monde de la culture défila chez elle, tous plus ou moins liés à l’artiste. Citons par exemple André Gide, Jean Cocteau, Marie Laurencin ou Djuna Barnes, soit la crème intellectuelle de l’époque. C’était « la spontanéité et l’expression » qui l’intéressait avant tout, tentant de prendre en photo les gens quand « ils ne posaient pas« . Parallèlement à son travail de photographe elle fit connaître au plus grand nombre les œuvres d’Eugène Atget et de Lewis Hine.
Max Armengaud, Antichambre, Analogues, 2015
Né en 1957, Max Armengaud hante depuis plus de trente ans les institutions européennes avec sa chambre photographique, faisant inlassablement le portrait de toutes les personnes qu’il rencontre, dans des séries en noir et blanc et au format carré. De la simple femme de ménage au haut dignitaire, chaque personne est mise en situation de la même manière. Cette vision documentaire du portrait efface l’imaginaire souvent convoqué dans la représentation d’un pouvoir, d’une domination symbolique. Le palais de l’Élysée, le Vatican, l’Opéra de Paris mais aussi le Rugby Club Toulonnais ou le Mont-Saint-Michel sont ainsi radiographiés de façon minutieuse et sans affect.
Le portrait de rue
Jamel Shabbaz, Back in the days, PowerHouse, 2001
Photographe afro-américain né en 1960 à New York, Jamel Shabbaz est le premier photographe « street style » a avoir immortalisé la culture hip-hop des années 1980 dans son quartier de Brooklyn. Des photos couleur qui résument superbement la vitalité de ce mouvement naissant, où les codes et attitudes se fabriquaient dans la rue. Back in the days est un hommage respectueux et fidèle de cette communauté du breakdance et du rap. Chaque portrait exprime la créativité de chacun : pose étudiée bras croisés, look Kangol et lunettes Gazelle, chaines dorées et le « Boom Box » aux pieds… Toute une culture majeure se dévoilait alors avec candeur et fierté.
Bruce Gilden, A complete examination of Middlesex, Archive of modern conflict, 2013
Né en 1946 à Brooklyn, Bruce Gilden a photographié les gens de Londres dans la rue, à la recherche de « gueules », comme à son habitude. Mandaté en 2011 par le fonds « The Archive of Modern Conflict » (tout un programme), le portrait de rue évite ici toute pose ou discussion avec les individus, Gilden les photographiant au flash, à moins de deux mètres d’eux, sans fioriture. Des images en noir et blanc et couleur très rentre-dedans, mêlant brutalité et spontanéité, qui explosent également à notre visage. Une prise brute avec la réalité d’un quotidien capté dans la rue.
Bruce Davidson, England/Scotland 1960, Steidl, 2014
Photojournaliste et membre de l’agence Magnum, Bruce Davidson (États-Unis,1933) va rendre compte de la vie d’Anglais et d’Ecossais dans les années 1960, toujours dans sa veine sociale et politique. Marqué par l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson, il va documenter dans un noir et blanc élégant le quartier de Spanish Harlem à New York (1966-1968) ou encore la lutte pour l’émancipation des Afro-Américains dans le sud des Etats-Unis (1961-1965), etc. Les images de ce livre procèdent d’une radiographie éclectique de la vie quotidienne d’Anglais et d’Ecossais, de la cérémonie de mariage aux travaux des champs, d’un après-midi à la plage aux scènes de rues.
Nontsikelelo Veleko photographe, Éditions de l’œil, 2007
Photographe sud-africaine née en 1977, Nontsikelelo Veleko capture en couleurs et dans la rue un instantané de l’identité noire et urbaine post-apartheid. A la croisée de la photographie de rue et de la mode, son travail exprime le renouveau des nouvelles générations et des contre-cultures urbaines. Ses portraits sont photographiés en résonnance avec le décor politique et social de la ville. Elle s’est particulièrement attachée à représenter les femmes sud-africaines, comme dans sa célèbre série de portraits féminins « Beauty is in the eye of the Beholder » (2003-2006), photos prises dans les rues de Johannesburg.
Le portrait « engagé » et la photographie sociale
Zanele Muholi, Faces and phases, Prestel, 2011
La photographe sud-africaine Zanele Muholi (née en 1972) livre dans Faces and phases une superbe série de portraits de la communauté des lesbiennes noires et des transsexuels, « Faces » désignant les personnes et « Phases » les différentes phases de la construction de leur identité. Ces prises de vue, réalisées en noir et blanc, rassemblent aujourd’hui près de trois cents portraits de femmes rencontrées en Afrique du Sud. Dans le livre, citant Joan E. Biren, elle reprend la citation « sans identité visuelle, nous n’avons pas de communauté« . Photographe et activiste, Zanele Muholi est internationalement reconnue pour sa pratique de l’autoportrait.
Ethan James Green, Young New York, Aperture, 2019
Ethan James Green, photographe et ancien mannequin ouvertement gay, a photographié de 2014 à 2018 ses amis de la communauté queer à New York, documentant en noir et blanc et à la chambre ces « milléniaux », lui-même étant né en 1990. Une jeunesse captée par un regard à la fois proche et mélancolique définissant une identité communautaire composée de mannequins, d’artistes, d’icônes de la nuit ou de personnages hors-normes. Douceur et empathie prédominent dans ces images calmes et sereines, loin d’une caricature outrancière habituellement mise en scène.
Olivia Gay, Envisagées, galerie Le Château d’Eau, 2017
Les portraits de femmes d’Olivia Gay rendent hommage à celles que l’on ne voit pas ou que l’on ne veut pas voir : prostituées de Cuba, dentelières de Calais, caissières, ouvrières ou détenues de la prison de Caen. Cette démarche militante et documentaire se traduit plastiquement par une extrême attention portée à la composition de ces portraits à la tonalité picturale, la photographe ayant comme influence Vermeer et la peinture religieuse. Lumière, couleurs et gestes sont maitrisés pour leur rendre toute leur noblesse. Un travail minutieux fait de rencontres avec ces femmes étalées sur sept ans.
Pierre Gonnord, La Fabrica, 2012
Pierre Gonnord (1963-2024) graveur et portraitiste français avait pour principal sujet les marginaux et autres communautés spécifiques, comme les gitans de Séville dans sa série « testigos », ou encore les mineurs asturiens. C’est l’étude des « humbles« , comme il le disait dit lui-même qui prédominait dans son travail, et c’est le livre Paris la nuit de Brassaï (1932) qui avait déclenché sa passion pour la photographie. Les séries des années 2000 permettent d’apprécier ses portraits en couleurs d’hommes et de femmes dont la personnalité et la vie difficile se lisent sur leur visage. Pierre Gonord affirmait souvent son amour du portrait, et l’influence exercée par les peintres et maîtres du genre comme Vélasquez, Le Caravage ou Rembrandt.
Vincen Beeckman, Les Éternels, Ciao Press, 2021
Le belge Vincen Beeckman, né en 1973, photographie les personnes vulnérables ou marginales, comme dans sa série « cracks » (2014), sur des sans-abris de la gare centrale de Bruxelles, ou « jump » sur des détenus de prisons belges (2019). L’échange et la collaboration sont les clés de son travail, et Les Éternels ne déroge pas à la règle. Le photographe déroule ici des vies de séniors, mêlant portraits de jeunesse et vie actuelle, images gribouillées, extraits de textes divers. Un objet multiple touffu qui rend compte de quelques vies tumultueuses, comme celle de Christian Desmet, qui fut à la fois boxeur, musicien, aide-comptable, trafiquant d’alcool, garagiste, président de club de tennis, politicien.
L’intimité dévoilée
Sarah Mei Herman, The Netherlands, Kahmann Gallery, 1980
Sarah Mei Herman (Amsterdam,1980) tente d’exprimer dans ses portraits ce qui est de l’ordre de l’invisible : l’intimité, la tension émotionnelle entre deux personnes ou l’introspection. Ces portraits en couleur concernent en grande partie des adolescents ou des enfants en train de perdre leur insouciance. Comme souvent dans son travail, ceux-ci se montrent dans des poses figées, comme si ces arrêts correspondaient à une acmé émotionnelle. Souvent mélancoliques ou rêveurs, comme muets, ils flottent dans des espaces souvent naturels, soumis à notre regard.
Petra Collins, Coming of age, Rizzoli, 2017
Coming of age traite de la féminité et du passage à l’âge adulte de cette jeune photographe, mannequin et directrice de la photo (Toronto, 1992) ; il se lit comme un journal intime de l’adolescence. Une variante d’un scrapbook formé par des photos de famille, des polaroids scannés, d’extraits de correspondances personnelles ou de textes qui l’ont inspirée. Cette première monographie teintée d’un onirisme bariolé est accompagnée d’un texte de Laurie Simmons sur la « culture Lolita » et de l’interview de Marilyn Minter sur le féminisme dans la mode et l’art.
─ A voir aussi
Marion Gronier, We never meant to survive
Exposition du 8 septembre au 31 décembre 2022
Photographes ambulants et studios africains
La tradition du portrait en studio a dépassé les frontières européennes ou américaines et s’est développée sur le continent africain, ou dans des pays comme l’Inde, offrant d’autres visions du monde. S’est développée en parallèle la pratique ambulante, permettant d’enregistrer de précieux documents de la vie quotidienne, hors des grandes villes.
Les chambres de rue
Lukas Birk, Box camera now, Fraglich Publishing, 2020
Cet ouvrage compile les travaux de cinquante-quatre photographes du monde entier, pratiquant ce que l’on appelle « les chambres de rue », « camera box », « instant box », ou encore « Afghan box camera », selon les pays dans lesquels on les utilise. Fabriquées à la main, ces objets uniques sont à la fois un appareil photo et une chambre noire, permettant ainsi de développer et tirer. Véritable radiographie cosmopolite de photos instantanées, l’ouvrage offre également un petit guide sur la construction et l’utilisation d’une camera box.
Imaginaire indien
Olivier Culmann, The others, Editions EXB, 2015
Dans cet ouvrage Olivier Culmann explore tous les codes et les pratiques de la photo en Inde : photographies de studios de quartier avec des fonds composés de rideaux ou paysages peints, tirages en noir et blanc rehaussés en peinture, retouches numériques d’images abimées. Un imaginaire culturel constitué par un kitch typiquement indien, qu’il pousse au maximum en jouant tous les personnages pris en photo, à la fois auteur, metteur en scène et acteur. Passionné par les images populaires et la photographie vernaculaire Olivier Culmann est membre depuis 1996 du collectif Tendance Floue. Cet ouvrage rassemble pour la première fois toute la série, débutée en 2009 alors qu’il habitait en Inde.
Traditions africaines
Oumar Ly, Portraits de brousse, Filigranes, 2009
Effectués dans son studio à Podor puis dans des villages du nord du Sénégal entre 1963 et 1978, ces portraits de villageois en noir et blanc représentent de façon parfaite la tradition africaine du studio mobile. Oumar Ly (1943-2016), qui commence par faire des clichés d’identité, va progressivement prendre en photo de nombreuses familles ou habitants de la brousse, les mettant en scène de façon simple, accompagnés parfois d’accessoires du quotidien. Des images laissant poindre la fierté mêlée de timidité de chaque sujet qui posent devant le photographe.
Felix Diallo, Felix Diallo photographe de Kita, Toguna éditions, 2003
Originaire de Kita au Mali, Felix Diallo (1931-1997) va s’initier très tôt à la chambre photographique et réaliser des portraits de clients dès 1955 pour gagner sa vie. Ce véritable pionnier va également parcourir avec sa chambre 13×18 les marchés des environs de Kita, appelant les gens à l’aide d’un phono. En 1963, son deuxième studio « Photo Lux », toujours implanté à Kita non loin de Bamako, va réaliser de nombreux portraits ou photo d’identité. Des témoignages de la vie de l’époque où les Maliens posent souvent chez eux, après avoir contacté l’artiste, devant un décor très simple : un mur, un couloir ou une toile tendue. Ce « chrétien de la brousse » photographiera longtemps ses compatriotes avec les moyens du bord, par exemple sans électricité qui arrive à Kita seulement en 1985. Une œuvre méconnue et pourtant toute aussi importante que celle de ses contemporains maliens Seydou Keita ou Malik Sidibé.
─ A voir aussi
Pour retrouver les grands portraitistes africains : Seydou Keita, Scalo Editions, 1997 (n°6465), Malik Sidibé, Photographs, Stedl, 2003 (n°515)
Le Studio Harcourt
Studio Harcourt (1934-2009), La Manufacture, 1991
Le célèbre studio photo, fondé à Paris en 1934, résume à lui seul un style : des portraits de stars du cinéma et du spectacle en noir et blanc, pris en gros plan ou plan rapproché, de ¾ face la plupart du temps, au format 24×30 cm. Une esthétique particulière portée par un éclairage favorisant le clair-obscur. Cette élégance surannée très France d’après-guerre, gants blancs et hôtel particulier, va forger un glamour magnifiant les visages de Michèle Morgan, Cocteau ou Gérard Philippe…, jusqu’à Laeticia Casta ou Jean Dujardin aujourd’hui.
Par delà la représentation…
De nombreux photographes ont exploré l’art du portrait d’une façon décalée, délaissant ou utilisant l’académisme pour produire de nouvelles formes plastiques. Voici quelques ouvrages issus du fonds de la bibliothèque du Château d’Eau qui illustrent brillamment ces expérimentations , mêlant parfois humour et engagement, techniques anciennes et procédés numériques.
Collages, surimpressions, pliages
Laurent Lafolie, Exo Endo, galerie Le Château d’Eau, 2022
Laurent Lafolie explore depuis 2010 et sa série « Missingu » de nouvelles approches du portrait focalisées sur la notion du visage et de son effacement, de sa disparition. Exo Endo offre des photographies à la fois simples et étranges, notamment par les techniques et supports utilisés : impressions sur céramique, images constituées de plusieurs centaine de visages superposés ou tirages pur platine sur fils de soie naturelle. Ce tireur émérite mélange procédés anciens et technologie numérique, renouvelant ainsi l’approche classique du portrait.
Thomas Sauvin et Kensuke Koike, No more no less, Skinnerbooks, 2018
« No more no less » est l’histoire d’une triple appropriation artistique : celle de Thomas Sauvin, artiste français qui propose au plasticien Kensuke Koike, maitre dans l’art du collage, de réinterpréter un album de portraits studio effectué par un étudiant en photo chinois dans les années 80. Utilisant les négatifs originaux Koike va transfigurer ces visages d’anonymes en découpant, collant, reconstruisant toutes les images sans rien retirer ou ajouter de l’album originel. En résulte de nouvelles épreuves argentiques empreinte d’un surréalisme contemporain cher à l’artiste nippon.
David Hockney, Cameraworks, Thames and Hudson, 1984
Avec ses « joiners » l’artiste pop David Hockney expérimente dans les années 80 l’art de la mosaïque visuelle. Ses portraits ou paysages se constituent progressivement en assemblant des centaines de polaroid de la même image, donnant ainsi une vision à la fois fragmentée et complète du sujet photographié. Les portraits d’amis, d’amants ou de membres de sa famille se dévoilent dans une perspective cubiste aux couleurs chaudes et colorées typique de cette photographie instantanée. Cameraworks rend compte de ce travail ludique et créatif et offre une nouvelle façon d’envisager le portrait.
Le portrait fictionnel
Martine Doyen, Alfreda Hitchcock and sisters, La lettre volée, 2021
Et si nos cinéastes préférés, majoritairement des hommes, étaient des femmes ? C’est le projet de la réalisatrice belge Martine Doyen, qui a malicieusement transformé les portraits de ses réalisateurs préférés en femmes. Une galerie prestigieuse aux prénoms féminisés (Alfreda Hitchcock, Charline Chaplin, Cléo Eastwood ou Davida Lynch,…) qui permet sur le ton de l’humour de questionner la place des femmes dans l’univers du cinéma, tout en exerçant sa cinéphilie : reconnaitrez-vous qui se cache derrière chaque portrait ?
Patrick Cockpit, Figures oubliées de la résistance féministe à l’orée du vingtième siècle, 2020, autoédition
Ici, vingt-neuf portraits de femmes effectués au collodion, avec en contrepoint leur biographies respectives, faites d’exploits rocambolesques et violents. Anarchistes révoltées, féministes radicales, syndicalistes révolutionnaires sachant manier les poings ou l’éviscération, ces Bonnie Parker n’ont pourtant jamais existées. Patrick Cockpit, portraitiste pour la presse et le milieu de l’édition, propose dans ce livre des fictions narratives construites par un humour féroce et proche d’une série B que n’aurait pas renié Quentin Tarantino.
Drôles de bobines
William Wegman, Wegmanology, Hyperion Books for Children, 2001
Le photographe américain William Wegman (États-Unis,1943) est le grand portraitiste attitré de la race canine. Il met plus particulièrement en scène des braques de Weimar dans des attitudes typiquement humaines, ces portraits relevant souvent de chimères mi-homme mi-chien, pour des photographies forcément empreintes d’un humour décalé. Des chiens pilote de ligne, ou repassant leurs vêtements brodés dans un salon, affublés de perruques constituent des jeux de rôles formant des saynètes les plus diverses. Ces modèles photogéniques au pelage luisant ont fait de lui sa notoriété et son identité artistique.
James Balog, Survivors : a new vision of endangered wildlife, Abrams,1990
Survivors porte bien son titre : James Balog (États-Unis, 1952) photographie des espèces animales menacées, portraiturant guépard, antilope à nez tacheté ou bien encore kangourou rouge, grue moine…. Des images en couleur procédant d’une mise en scène élaborée, et mélangeant éléments de studio et paysages. Elles symbolisent la survie de ces animaux dans leur environnement naturel constamment menacé par l’homme. Ces portraits composites sont au service d’un engagement militant, James Balog accompagnant ses clichés d’un texte qui renseigne précisément la destinée malheureusement tragique de ces animaux sauvages.
Michel Vanden Eeckhoudt, Zoologie, Delpire,1982
Autre photographe réputé pour ses clichés d’animaux, le belge Michel Vanden Eeckhoudt (1947-2015) (co-fondateur de l’agence VU) propose dans son premier livre des portraits d’animaux dans des zoos ou ménageries. Un moyen de dénoncer cette vie en cage, par des images en noir et blanc argentique à la composition soignée. Un bestiaire dévoilé dans une dramaturgie souvent triste et mélancolique, redonnant une humanité à ces animaux enfermés juste pour satisfaire le plaisir dominical des familles.
Leila Jeffreys, Des oiseaux, Atelier EXB, 2019
Leila Jeffreys a commencé à photographier des oiseaux dans des réserves naturelles, sous la férule d’ornithologues. Son attention s’est ensuite focalisée sur des portraits aux allures officielles de perruches et autres cacatoès ou hiboux, tout en plumes relevées et couleurs éclatantes, favorisant un rendu hyperréaliste. La néo-zélandaise tente de capturer dans chaque « clic » les expressions particulières de chaque volatile, dans un véritable travail de studio photo : pose longue, éclairage précis et fond gris, discussion avec les modèles.
À voir ailleurs…
Portrait(s) 2022 (ville-vichy.fr) : un festival de dix ans déjà consacré au portrait photographique durant l’été dans la ville de Vichy.
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