FERMETURE POUR TRAVAUX DE RENOVATION JUSQU’AU DERNIER TRIMESTRE 2025

Laurent LAFOLIE  » EXO ENDO « 

  • Exposition

Infos pratiques

  • Date et heure
  • Lieu Galerie le Château d'Eau
  • Public Tout Public
Laurent LAFOLIE  » EXO ENDO « 

Présentations photographiques

Les travaux photographiques de Laurent Lafolie traduisent sa volonté de faire de l’image un objet photographique et du lieu d’exposition un espace de présentation sensible et ludique.

Temporalité et nature de la représentation

Utilisant une immense variété de techniques qu’il s’approprie, améliore, voire invente, Laurent Lafolie produit d’abord des objets qui sont les véhicules d’images qu’il veut partager avec nous. Il nous rappelle sans cesse, dans des variations savantes qui vont de la légèreté sophistiquée de papiers japonais transparents s’agitant au moindre souffle d’air à la dureté de plaques en céramique ou à la fragilité transparente de feuilles de porcelaine en passant par la mystérieuse inscription de la forme sur des fils tendus, la matérialité obligatoire de l’image. Pour la première fois, lui dont on connait la finesse de traitement des gris et du noir et blanc nous convie à des propositions en couleur, toujours aussi variées et subtiles.

Dans tout ce travail, dans cet artisanat qui connait tous les secrets de fabrication pour nous émerveiller d’images questionnant la temporalité et la nature de la représentation, tout se joue entre révélation et disparition. Parce qu’image rime ici avec magie et que nous sommes donc confrontés à une parole silencieuse et à des écritures. Qui convoquent des visages devenus complices et des questionnements permanents.

Christian Caujolle, commissaire de l’exposition

présentation de l’exposition

Concrètement les travaux de Laurent Lafolie répondent à la fois au désir de faire de l’image un objet photographique et du lieu d’exposition un espace de présentation photographié, sensible et ludique.

Le concept d’objet photographique se retrouve dès ses premiers tirages par contact au platine-palladium jusqu’aux projets sur washi**, sur verre et autres supports. Il est également lisible dans l’agencement et la disposition des images où la place est laissée au jeu des lectures multiples : superposition, inversion, cumul, report, apparition/disparition, visibilité/invisibilité, etc… Plusieurs projets sont généralement réunis lors des présentations ; ils s’assemblent pour former une distribution photographique où le lecteur réinvente progressivement les images par les déplacements qu’il opère et les points de vue qu’il adopte. Chaque présentation – intérieure ou extérieure – est ainsi le moyen de développer une construction adaptée à des contextes culturels, spatiaux etc… dans lequel [le rapport du visiteur à] l’image devient un acte cadré par le perceptible, modelé par l’invisible et tendu vers l’irreprésentable.

Laurent Lafolie est également tireur et formateur. Il utilise à des fins artistiques des procédés historiques du XIXème siècle comme les outils numériques les plus modernes. Il créé des objets photographiques où ne se différencie plus le travail de la prise de vue, du support et de la mise en espace. La profondeur des œuvres, leurs vibrations, leur matérialité n’arrêtent pas le regard, au point parfois d’attirer hypnotiquement le spectateur.

Laurent Lafolie est représenté par la Galerie Binome, Paris

BIOGRAPHIE de l’artiste

Né en France en 1963, Laurent Lafolie est photographe depuis 1980. Les premières années de sa pratique l’ont amené à collaborer avec des metteurs en scène puis, à partir de 1994, avec des chorégraphes contemporains. Depuis l’année 2005 sa recherche est engagée dans des projets artistiques indépendants où s’opère un travail sur le mécanisme de perception des images en utilisant essentiellement le visage pour médium. Des notions telles que l’identité, l’intime, la dualité, l’image de soi et la reconstruction y ont été associées ces dernières années.

« Ce qui frappe, c’est la présence de l’absence. J’ai l’impression que je travaille beaucoup avec cette notion. Mes œuvres sont présentes, mais ce qui est représenté, c’est plus l’absence. ».

Laurent Lafolie

Rencontre avec l’artiste

J’ai commencé assez tard à travailler artistiquement. Je me suis attelé au départ essentiellement à la technique. Le fait de s’atteler à la technique c’est toujours quelque chose de simple à faire. C’est du travail mais c’est une logique de travail alors que la création, on part vers des inconnus. C’est toujours des endroits plus chaotiques ou périlleux.

« Exo Endo » ça veut dire en dehors en-dedans. Ma précédente exposition à la Rochelle s’appelait « les images intérieures » ; je voulais évoquer quelque chose qui sont nos premières images. Avant de regarder des images ou d’en fabriquer, on a d’abord affaire à nos propres images intérieures. Là, avant que l’on se rencontre, vous aviez une image de moi. Après on la déconstruit, on a affaire à une réalité, on voit que la personne n’est pas exactement l’image qu’on se faisait d’elle. Il y a aussi des images mentales, les images au départ, ce sont ça. Puis il y a toutes les images desquelles on doit se détacher. Ça on connaît bien dans le processus d’une vie, dans l’évolution d’une vie humaine. On est attiré par des choses à 20 ans qui n’ont plus aucune importance 10 ans après ou à 40 etc. On voit bien qu’on a quitté certaines images, on s’en est appropriées d’autres puis on les quittera peut-être à nouveau. On voit bien que les images, avant d’être photographiques, des peintures ou des dessins, elles ont été, elles sont, intérieures.

Estampes sur tarlatane superposées

Quand j’ai commandé ces rouleaux de tarlatane, j’en ai achetés plusieurs rouleaux en Espagne, je trouvais le matériau très beau. J’ai tout de suite voulu de détourner l’utilisation de ce produit et de m’en servir de support d’image, non pas pour enlever l’image mais pour la recueillir.

Donc là pour chacune de ces propositions, il y a environ, vous verrez que c’est récurrent sur plusieurs projets, entre 9 et 12 tirages sur tarlatanes superposés. C’est ce qui permet de faire ces variations colorées.

Tirages platine-palladium sur fil de soie naturelle

Le procédé que j’ai beaucoup travaillé c’est le platine-palladium. Quand on connaît bien une technique et qu’on va au bout de celle-ci, on arrive à bien peser ce que l’on va exprimer avec elle.

Le tirage platine-palladium est une technique qui d’aspect ressemble un peu la gravure parce qu’on est sur une matité, on est sur de beaux papiers. Il y a une noblesse du tirage qui donne cet aspect-là. C’est donc un procédé photographique qui permet des images extrêmement pérennes. Il n’y a qu’un seul fil pour chaque œuvre c’est-à-dire qu’il y a un départ qui commence en haut à gauche et se termine en bas à droite, après avoir déroulé une pelote. La photo quand j’arrive sur le lieu d’exposition, elle tient dans ma main, c’est une toute petite pelote.  J’aime bien cette économie de moyens pour arriver à faire des choses. Ce qui a été le moteur de ce projet là, ce n’était pas tant de travailler sur un fil que de travailler plus avec un manque d’image. Vous voyez, l’espace qui se trouve entre chaque fil est plus important que le fil en lui-même. Votre œil, ou le point de vue que vous allez adopter pour regarder l’image, va permettre de révéler l’image. On rencontre tous des moments dans nos vies. On quitte, on est quittés, il y a les séparations etc. et on construit à partir de ça. C’est-à-dire qu’on ne construit pas tant à partir de ce qui existe qu’à partir de ce qui manque. Je trouve ça vraiment intéressant.

J’ai voulu travailler sur la notion de coupure. La ligne séparation des lèvres est aussi un endroit qui ressemble à une coupure. J’ai commencé à photographier cette ligne à l’étirer. De les placer horizontalement comme elles avaient été photographiées, j’étais dans un rapport trop figuratif et donc je les ai redressées verticalement.

Beaucoup d’images sont ostentatoires, elles viennent nous chercher. Nous en tant que sujet on a pas de place pour exister face à ces images-là. Elles nous imposent ce que l’on doit voir, ce que l’on doit regarder. C’est un rapport que je déteste, que je ne défends pas, pas du tout. On voit bien ambivalence de l’image. D’aller vers un endroit où elles sont retenues, pas forcément jusqu’à l’effacement là où je vais, mais à un endroit où elles sont en retenue, c’est un endroit qui me touche beaucoup, quelque soit l’artiste. La notion d’effacement, j’aime bien cette retenue-là, le seuil de la visibilité, parce que moi en tant que lecteur, ainsi que les personnes qui visitent je l’espère, avons la place de faire nos propres images. Certes il y a un point de rencontre qui est l’objet qu’a fabriqué l’artiste. Mais après cet objet, il faut qu’il soit un point de départ pour trouver ce qui concerne le visiteur, l’écouteur ou le regardeur. C’est ça l’endroit, sinon vous imposer ça ne vaut rien.

Estampes sur voile de soie superposées

Le voile est très rattaché au fait de comprendre, de saisir quelque chose de la réalité ou au contraire de se la cacher. C’est une notion beaucoup utilisée soit en philosophie, soit en psychanalyse, et même dans le langage courant. On utilise le mot voile, je me suis dit en Occident, mais ce n’est pas le voile islamique, c’est autre chose. Avant qu’on ne parle du voile islamique, le voile en Occident parlait d’autre chose. Alors je les ai toutes, ces femmes, recadrées au niveau de leur visage, je les ai dévoilées. J’ai recadré à l’intérieur de leur visage et je les ai replacées sur un voile à moi.

Plaque de porcelaine émaillée

Pour cette exposition, j’ai commencé à travailler avec deux outils nouveaux qui sont la presse taille douce et les fours céramiques. J’ai acheté deux fours pour cuire de la céramique à très haute température et là je suis clairement pas allé au bout de ça. Autant le platine-palladium, j’ai fait beaucoup de choses mais ces nouvelles techniques je ne les connais pas, je voudrais faire plusieurs projets, essayer d’autres choses.

J’ai fait une première série de portraits sans savoir pourquoi. J’ai commencé à photographier avec toujours le même profil et le regard vers l’objectif pour terminer de face. Je suis rentré, j’ai regardé les images, je les ai comptées et j’ai vu qu’il y en avait 26. J’ai demandé à Yi Fang, la modèle, depuis combien de temps on se connaissait. Elle a compté et m’a répondu « il y a 26 ans ». Ça a été le départ du projet, c’est une drôle de coïncidence. J’ai fait 26 photos et donc j’ai eu envie de parler de ça, de l’écoulement du temps. J’ai commencé à faire cette première série. J’ai fait deux autres, en gardant toujours ce même schéma, c’est-à-dire que cette personne je la connais depuis 10 et cette autre personne je la connais depuis 19 ans. Donc à chaque fois, il y a ce même rapport de partir d’une photo de profil avec le regard vers l’objectif jusqu’à la presse, qui est un tirage sur céramique. Chaque tirage contient à peu près entre 60 et 80 émaillages c’est-à-dire 60 à 80 images superposées, les unes sur les autres pour donner à la fois cette transparence et cette universalité à la lecture. Tout à l’heure je vous ai expliqué que je ne voulais pas faire un portrait psychologique, je voulais absolument pas faire des portrait de Yi Fan, ce n’était pas le sujet du tout. Mais le fait de superposer des couches comme ça permet d’arriver à quelque chose de plus diffus, de moins représentatif.

Le fait de donner corps à l’image ; l’image en cuisant à 1200 degrés, la porcelaine redevient liquide et l’image s’enfonce dans la céramique. Depuis le début, depuis que j’ai commencé à travailler, il y a eu un moment où je voyais que j’avais fait pas mal de projets avec des visages et je me suis dit « bon ça suffit j’ai fait le tour de ça » et il se trouve qu’à chaque fois j’y reviens, malgré moi.

Captures d’écran analogiques tirées au platine-palladium sur papier coton

J’ai acheté un grand écran au départ mais pas pour cette raison. J’ai acheté un grand écran de 2m x 1m, un grand écran d’ordinateur. Sur cet écran, j’ai fixé une grande feuille de papier sensibilisée au platine-palladium, je l’ai scotchée et pendant deux heures, j’ai fait passer tous ces visages. Chacune de ces images que vous regardez, c’est la somme de tous les visages qui sont passés en boucle, là il y en a 100 et là 220. Pour résumer, ce sont des captures d’écran analogiques. C’est vraiment très mécanique puisque je fixe la capture d’écran. Elle ne se fait pas depuis l’intérieur de l’ordinateur, en faisant une combinaison de touches. Elle se fait de l’extérieur en plaçant une feuille, qui va enregistrer ce qui va passer devant l’écran.

Pour cette exposition là il y a une majorité de visages. Dans la pratique, en général, je fais un projet avec des visages et j’en fais un autre avec un autre sujet puis je reviens aux visages ; j’alterne sans arrêt.

Sur les images où on voit une personne qui est en train de se cacher les yeux, c’est une référence à cette chose d’arrêter de voir pour mieux écouter. Si vous vous approchez de près, vous verrez de petites lettres A et B. Je me suis arrêté à A et B parce qu’il se trouve que le mot Alpha ou Bêta, qui symbolise A et B, on entend « alphabet ».

J’ai d’abord commencé un travail artistique, j’ai fait des choix assez conséquents. J’ai vendu une maison pour m’engager dans cette direction, et à un moment je n’ai plus eu d’argent. Il a donc fallu trouver de l’argent et qu’est-ce que je sais faire ? Des tirages puisque j’employais ces techniques depuis quelques années. Alors je suis devenu tireur à côté de mon travail artistique. Je pense qu’à chaque fois que je travaille avec un artiste, ça m’enrichit beaucoup d’un tas d’univers vers lesquels je n’irais pas naturellement sans ces occasions-là.

Pigments sur plaques photopolymères gravées et feuilles de washi

Les prises de vue ont été faites avec un smartphone et toutes les restitutions, tous les tirages ont été faits avec des pigments.

En ce qui concerne les questions d’effacement ,de la disparition de l’apparition aussi ça va dans les deux sens, c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Alors au départ je l’ai beaucoup rattaché à la notion du temps qui passe, à l’écoulement du temps, à la disparition. Je ne sais pas si c’est uniquement ça parce qu’il y a un endroit de la disparition de l’image. Là ce n’est pas la disparition d’un être humain dans le cours de sa vie, ce n’est pas cette question dans ce cas là, mais il y a un endroit dans la disparition de l’image qui m’intéresse énormément.

Plaques d’acier émaillé (d’après les photographies de Colette Defives)

Un ami m’a remis une boîte qui contenait toutes les images d’une photographe du Nord de la France Colette Defives. À son décès, toutes les archives de son studio partaient à la déchetterie. Pour moi ça symbolise le temps de l’existence, c’est-à-dire qu’on ne sait pas trop d’où on vient, on ne sait pas trop où on va, entre les deux il se passe une multitude de choses formidables. Tout ça se fait (?)  c’est-à-dire que le vieillissement, le passage du temps c’est quelque chose de très doux qui existe néanmoins.

Je n’aurais pas pu travailler avec n’importe quel type d’image. Là il se trouve que sur quasiment chaque photo, la personne est considérée, elle est regardée par la photographe. Également la personne photographiée a eu le souci de ce rendez-vous. Elle s’est bien habillée, elle s’est bien coiffée, a mis ses bijoux pour les femmes. Ce rapport-là, c’est un endroit qui me touche beaucoup.

Il y a plusieurs de ces séries qui sont proposées ici, où les images utilisent des manières plus pérennes comme la céramique, la porcelaine, l’acier émaillé. Depuis une dizaine d’années, j’utilise essentiellement des papiers extrêmement fins de 3 grammes. Je continue à les utiliser mais ça en fait des choses où je pense être au bout de quelque chose qui ne cesse de s’échapper. Il y a un moment où j’ai aussi besoin de saisir quelque chose de plus concret et ne pas être sans arrêt dans l’échappement.

Il y a quelques images qui ont été doublées. Ces images, j’en ai fait un autre projet qui se trouve dans le mur intérieur. On porte à chaque fois tous beaucoup de facettes, des personnalités très variées.

Voilà ce sont des images dont je pouvais assumer le contenu et après je ne cache pas l’origine des images, je cite toujours le nom de la photographe ; je pense que les personnes qui sont sur les images n’ont à chaque fois rien de sarcastique.

Estampes sur feuilles de washi superposées

Il y a trois séries de stratigraphie  il y a celle ça, du bas où ce sont plutôt en plaine, ça provient d’un chantier routier, puis j’ai photographié. Là c’est en montagne, c’étaient plus des amoncellements géologiques et la dernière en noir et blanc.

Estampes sur papier kozo

C‘est un projet qui parle pour moi de la mémoire. Dans nos vies, on croise énormément de personnes, que l’on côtoie plus ou moins et finalement la mémoire ne contrôle pas toujours, pas souvent. Pourtant les visages sont toujours là, et parfois dans les rêves. Il y a donc quelque chose qui pour moi est dans le domaine de l’apparition et de la disparition non maîtrisées, qui m’intéresse beaucoup dans ce projet.

Il se trouve que si vous regardez un visage, c’est un endroit absolument infini. Il y a une puissance comme ça, un infini de lecture et de projection, qui fait que c’est inépuisable et universel. N’importe quel visage sur la Terre nous parle, si on regarde ce qu’il contient ; donc je trouve que c’est vraiment important un visage.

La presse en parle

  • « Photographie : Laurent Lafolie donne un visage à l’absence »
    ─ par Claire Guillot
    ─ Le Monde, mars 2022

    Lire la publication