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Gabriele Basilico et la condition urbaine

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© Gabriele Basilico, Beirut, 2011

A l’occasion de l’exposition consacrée aux quatre voyages du photographe italien Gabriele Basilico (1944-2013) à Beyrouth au Liban, la bibliothèque vous propose un aperçu de son œuvre prolifique. En effet, Basilico a publié plus d’une centaine de livres de son vivant et donné beaucoup d’interviews. L’artiste est décédé en 2013.

On ne montre pas assez la photographie italienne en France, qui est fondamentale, notamment concernant la photographie de paysage.

Christian Caujolle
Vue du site web sur le site de Gabriele Basilico

L’important travail de conservation et de valorisation mené par l’Archivio Basilico à Milan aide grandement à le suivre dans ses cheminements avec une frise chronologique pédagogique et éclairée. 

Voir le site des Archives Basilico

Introduction à l’œuvre de Basilico 

Basilico est né en 1944 à Milan. La ville bombardée en 1943, a mis dix ans à renaître et se reconstruire. Sans doute cette première expérience dans l’enfance a éveillé son intérêt pour les transformations de la ville et stimulé sa capacité à apprivoiser les contextes historiques. Après des études d’architecture, Basilico choisit de se consacrer à la photographie.  

Sa recherche photographique l’amène à interroger et représenter les transformations du paysage contemporain, de la ville industrielle à l’urbanisation post-industrielle, de la ville au territoire urbain métropolitain, à travers le monde. Basilico a souvent travaillé dans le cadre de commandes publiques, comme autant d’analyses, en dialogue avec des architectes, des urbanistes. Se qualifiant parfois de « médecin du territoire », il a ausculté le tissu urbain et le sentiment d’appartenance aux lieux. Si l’humain est absent de ses photographies, c’est la forme de la ville comme expression la plus aboutie et sophistiquée de l’action de l’homme qui lui sert de miroir. « Basilico a su affronter tous les lieux, y compris ceux qui paraissaient indignes d’être représentés, les plus médiocres, les plus décousus (Roberta Valtorta in PhotoPoche). »  

Basilico choisit une approche documentaire, une « photographie descriptive » (Roberta Vallorta). Il s’inspire de travaux importants de son époque comme celui de Walker Evans (style documentaire), Eugène Smith (regard social), Bernd et Hilda Bécher (inventaire systématique), les New Topographics (modifications des paysages naturels, Robert Adams), Bill Brandt (esthétique du noir et blanc). Au lieu d’isoler, de rechercher la spécificité du geste architectural, Basilico s’attache à structurer dans ses photographies les relations entre l’ancien et l’émergent, le ciel et les structures industrielles, les skylines urbaines à la recherche d’une image spatiale globale et complexe. 

Basilico avait réalisé son premier travail au 24X36 et poursuivit par la suite des phases de repérages au 6×9. Mais sa « boulimie » l’amenait à accumuler beaucoup de photographies sans épuiser son désir de « tout photographier ». Il se tourne rapidement vers la chambre photographique qui impose une « lenteur du regard« . Il confiait en interview au journal Libération « généralement travailler entre 10 et 30 mètres« , en variant les heures de la journée et les hauteurs de prise de vue pour des photographies immersives.

Ainsi qu’il l’explique dans un entretien avec Jordi Ballesta :

« Mon utilisation de la chambre avait pour finalité principale d’engendrer un comportement différent. Elle permettait de ralentir la vision, de regarder avec les yeux, sans l’intermédiaire du cadre, et finalement de regarder avec la perception physique.« 

Gabriele Basilico

Basilico en deux livres 

Couverture du livre Carnet de Travail 1969-2006 de Gabriele Basilico

Gabriel Basilico, Carnet de Travail, 1969-2006, Actes Sud, 2006

Premier ouvrage rétrospectif de l’œuvre de Gabriele Basilico, il a été publié à l’occasion de l’exposition à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris, du 21 juin au 15 octobre 2006. Il regroupe toutes les séries jusqu’à 2006, Sezioni del paesaggio italiano, 1966, Beyrouth 1991, bord de mer, Glasgow 1969, Dancing in Emilia 1978, Contact 1984, Porti di mare 1982-88, Forma Urbis. Outre cette perspective historique dans son œuvre, le livre rend compte de sa méthode d’analyse du territoire urbain.

Couverture du Photo Poche sur Basilico

Gabriele Basilico, Photopoche, N° 152, Actes Sud, 2014 

Dans la célèbre collection PhotoPoche, l’opus présente Basilico dans une introduction synthétique et fournie de Roberta Valtorta, accompagnée d’un entretien et de 62 photographies reproduites en couleurs et en duotone. Le livre propose une bonne entrée en matière à l’œuvre de Gabriele Basilico. 

Les premiers travaux  

Couverture du livre Italia et France de Basilico

« Milan portraits d’usines« , extrait de la série à voir dans Italia et France: Vedute 1978-1985 Vues, Jaca Book, 1986 

Réalisé entre 1978 et 1980, l’ouvrage originel, consacré à la périphérie industrielle de Milan est le premier travail de recherche du photographe. Il parle ainsi de cette série photographique: L’impact visuel provoqué par ces vieux édifices photographiés lors d’un week-end de Pâques, sans personne ni voiture dans les rues, sans cette activité chaotique qui caractérise la vie des zones industrielles, fut considérable. A cela s’ajoutait la présence d’une lumière d’une puissance extraordinaire, celle des jours de grand vent, qui fait revivre l’espace urbain et l’architecture dans un cadre nouveau de clair-obscur… ». Ce travail ouvre la voie de son œuvre.  

Un autre moment fort est sa participation à la mission de la DATAR, dirigée par Bernard Latarjet. A l’occasion de ses vingt ans, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) lance une vaste commande artistique de photographies ayant pour objet de « représenter le paysage français des années 1980.

Couverture du livre Porti di mare de Basilico

Gabriele Basilico, Bord de mer, Mission photographique DATAR 1984-1985, Art & Srl, 1992 
Gabriele Basilico, Porte di Mare, Art & Srl, 1990 

Gabriele Basilico photographie la côte du Nord-Pas-de-Calais, ses ports côtiers, ses villes et le littoral. Il s’attache notamment à Dunkerque et au Havre. Son travail est publié en plusieurs fois et lui vaut le Grand Prix International du Mois de la Photo en 1990. Considérant la puissance du paysage, il cherche dans ses photographies à redonner « une énergie artistique ». C’est un travail empreint de poésie. « Par rapport à l’horizon du paysage italien, souvent limité et rempli de présences, j’ai découvert en France l’émotion des grands espaces s’étendant sous le ciel. L’attrait pour le vide et pour le silence, qui fait partie de toutes mes photographies urbaines précédentes, a trouvé en France la possibilité d’élargir ses horizons. GB » 

─ Voir la série sur le site internet de la DATAR

Couverture du livre L'esperienza del luoghi de Basilico

Gabriele Basilico, L’esperienza dei luoghi: 1978-1993, Fondazione Gallerie Gottardo, 1993 

Le livre propose une réflexion critique sur les quinze premières années de l’œuvre de Gabriele Basilico et, comme lui-même l’écrit dans la préface, « se présente comme une tentative de réorganiser, avec une réflexion a posteriori, tout le travail de recherche effectué dans cette période : de l’architecture à la ville au paysage urbanisé ».

La commande sur BEYROUTH

Au sortir de quinze années de guerre (1975-1990), Beyrouth est une ville fantomatique émaillée de multiples destructions mais toujours debout. Dans ce contexte, une commande documentaire internationale rassemble six grands photographes : Gabriele Basilico, René Burri, Raymond Depardon, Fouad Elkoury, Robert Frank et Josef Koudelka. L’objectif est de mener une enquête visuelle sur le centre-ville.   

Couverture du livre Beyrouth publié en 1992

Beyrouth centre-ville, Éditions du Cyprès, 1992 

Publié en 1992, le livre met en regard le travail des six photographes suite à la commande, en noir et blanc ou en couleur. Depardon travaille avec des lumières méditerranéennes solaires, Koudelka au panoramique, Fouad ElKoury à la recherche de détails narratifs; René Burri joue des couleurs vives et de la ville comme une installation, Robert Frank recrée des atmosphères et ramène des présences humaines fantomatiques. Basilico reviendra 4 fois à Beyrouth sur un intervalle de vingt ans pour continuer de documenter la reconstruction de la ville. Il ne photographie pas la ruine dans une esthétique romantique, il l’a prend comme telle. C’est-ce qui fait la singularité de son travail et constitue une contribution importante à l’histoire de la ville. 

Couverture de la thèse de Marcel Fortini sur la commande sur Beyrouth

Marcel Fortini, L’esthétique des ruines dans la photographie de guerre, Beyrouth une commande exemplaire, L’Harmattan, 2014 

Le livre reprend la thèse de Marcel Fortini sur l’esthétique des ruines de guerre à travers l’étude de la commande sur Beyrouth. Il interroge et propose des catégories d’analyse esthétiques et stylistiques de la photographie des ruines. A travers cette étude, il esquisse un ensemble de postures possibles face à ce que le critique Robert Pujade (introduction du livre) désignait par la « défiguration d’un lieu« .  

Couverture du livre Beirut de Basilico

Gabriel Basilico, Basilico Beirut, La Chambre Claire, 1994

Le livre reprend plus amplement les premières photographies de Basilico en 1991.  Basilico dit avoir travaillé dans le même esprit que pour la commande de la DATAR avec un contexte historique très particulier. La zone de travail d’un kilomètre carré lui permettait d’approfondir le sujet du centre historique de la ville. Sa préoccupation était de ne pas esthétiser les ruines, ce qui aurait créé de « faux documents », falsifié la ville. Le livre présente 42 photographies sélectionnées en 1994 parmi les 560 prises en format 10×12 à Beyrouth en 1991.

Couverture du livre Ritorni a Beirut aux éditions Contrasto Books

Gabriele Basilico, “Ritorni a Beirut/Back to Beirut 1991 – 2003 – 2008 – 2011 « , Contrasto Books, 2023

Ce livre réunissant les photographies noir et blanc et couleur exprime un projet finalisé, définitif après vingt ans de travail. Le livre présente pour la première fois l’ensemble des voyages 1991-2003-2008-2011. Si le premier voyage a été beaucoup montré, les trois autres sont moins connus. Certaines séries n’avaient même jamais été tirées comme Beyrouth 2008. Une sélection de textes de Fouad Elkoury, Farian Sabahi, Gabriel Bauret, Christian Caujolle et Gabrielle Basilico retraduisent l’aventure humaine depuis la commande initiale. Le photographe y partage ses impressions au fur et à mesure où ce qui était détruit disparait pour laisser place à des espaces vides ou déjà des reconstructions modernes. Le passage du temps réveille des tensions émotionnelles entre la disparition du patrimoine ancien détruit et la reconfiguration d’une ville moderne. 

Voir la présentation sur le site de l’éditeur Contrasto Books

L’arpenteur de villes

Basilico n’a eu de cesse de cartographier, analyser, comparer les villes. Ses photographies contemplent autant qu’elles tentent de comprendre cette œuvre humaine.  

Couverture du livre Italy : cross sections of a country

Gabriele Basilico, Italie : Cross sections of a country, Scalo, 1998 

L’ouvrage a été réalisé avec l’architecte Stefano Boeri (texte)  en 1996 pour la biennale d’architecture de Venise. Il porte sur les changements depuis 25 ans dans le paysage italien. Les photographies sont complétées d’une tentative de cartographie en utilisant des vues aériennes. La recherche est développée le long de six « sections de paysage », d’une longueur idéale d’environ 50 km, qui unissent une zone urbaine consolidée à une zone suburbaine densément peuplée.

Couverture du livre de Basilico Monte Carasso

Gabriele Basilico, Monte Carasso: la ricerca di un centro; Un Viaggio fotografico di Gabriele Basilico con Luigi Snozzi, Office de la Culture Suisse, 1996 

Le livre analyse le travail de l’architecte Luigi Snozzi dans la ville de Monte Carasso. Ce travail porte plus particulièrement sur la question du « centre » dans un territoire urbain qui s’efface. Comment trouver un sentiment d’appartenance au lieu dans des périphéries chaotiques, des « non-lieux » où l’on se sent étranger. C’est un axe de la recherche de Basilico portant sur la forme de la ville. 

Couverture du livre Berlin

Gabriele Basilico, Berlin, Actes Sud, 2002

Le travail sur Berlin est réalisé en 2000 en trois voyages et compose un « récit-portrait » de la ville. Il interroge le même thème de la résilience, du devenir temporel d’une ville européenne retrouvée après les grands mouvements de l’histoire. Le travail s’effectue plus particulièrement dix ans après la Chute du Mur. Textes de Hans Ulrich Obrist et de Stefano Boeri. 

Couverture du livre Milan Berlin Valencia

Gabriele Basilico, Milan, Berlin, Valencia, Ivam, 2001 

Le livre confronte les trois villes en 150 photographies pour en scruter les différences et les points communs. Basilico écrit : « Ce projet d’exposition et de livre que nous avons appelé « Milan, Berlin, Valence » vise à vérifier si le projet de comparaison d’images est capable de mesurer les affinités des trois villes, dans une tentative ou, plutôt, dans l’espoir de reconstruire le modèle d’une ville imaginaire« .

La ville éclatée  

Basilico contribue à réagencer un imaginaire de la ville. Derrière cet urbain devenu trop urbain, la ville a éclatée, s’est dispersée. Gabriele Basilico s’autorise à en recoller les morceaux à la manière du collage.

Couverture du livre Scattered City

Gabriele Basilico, Scattered city, Le Point du Jour Éditeur, 2006 

Le livre rassemble des photographies entre 2000 et 2005 librement organisées représentant plusieurs villes dans l’idée d’oeuvre ouverte, de recherche, de processus. Basilico recherche une image complexe de la ville globale à partir de fragments dispersés, éclatés. Basilico interroge la ville qui se défait dans ses marges, constatant l’effacement des limites avec une périphérie indéterminée.  

Couverture du livre Space in Between de Gabriele Basilico

Gabriele Basilico, Space in between / Territori intermedi, Skira, 2022 

Cet ouvrage récent rassemble des inédits entre 1985 et 2011. Le photographe tente de remettre en ordre les transformations morphologiques des villes dans un complexe urbain métropolitain. Le livre mêle le noir et blanc et la couleur, en confrontant soit la même ville en noir et blanc et couleur, soit des villes très différentes à différentes époques. Les photographies sont accompagnées de textes de Filippo Maggia et Luca Molinari.

Notes et références