Mars / avril 2025 à la bibliothèque

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1 mois 1 thème : La photographie sociale

À l’occasion de l’exposition révélant les lauréats du Prix Photo Sociale 2025 la bibliothèque vous propose de découvrir ce pan humaniste et militant de la photographie documentaire qui met à jour les souffrances et problèmes sociaux de populations fragiles, marginalisées ou vivant dans la précarité. 

couverture du livre La photographie sociale, Photo Poche 2010

La photographie sociale, Acte Sud Photo Poche, 2010 

L’ouvrage permet d’envisager l’histoire de ce courant présent dès l’apparition de la photographie. Michel Christolhomme nous instruit de ce « devoir de voir » en présentant le travail de soixante-quatre photographes, de la fin du 19e siècle aux débuts des années 2000. Il n’est pas anodin que les images de Charles Nègre de l’alise de Vincennes, prises entre 1857 et 1860, fassent écho au travail actuel sur les institutions psychiatriques de la lauréate du Prix Marion Gronier (2022-2024), nous démontrant que ces problématiques sont intrinsèquement liées à nos sociétés industrielles. L’auteur pointe également dans sa préface l’importance des États-Unis dans l’histoire du courant, notamment avec le travail de Jacob A. Riis, Lewis Hine, Eugène Smith, Mary Ellen Mark ou Jane Evelyn Atwood. Ce Photo Poche permet de cerner la spécificité d’un mouvement croisant photographie documentaire et photojournalisme pour dévoiler des réalités sociales complexes. 

Joseph Aimard et le collectif Cèdre PhotographeJe suis courage, Les Éditions de Juillet, 2024

Cèdre Photographe est un collectif de huit photographes migrants formé en janvier 2022 sous l’impulsion de Joseph Aimard, bénévole au Secours catholique. Le CEDRE (Centre d’entraide pour les demandeurs d’asile et les réfugiés), antenne du Secours catholique parisien du XIXe arrondissement de Paris, a proposé au collectif de témoigner de leur vie d’exil par la photographie, à l’aide d’appareils argentiques jetables. Parfois prises au ras du bitume, ou au contraire offrant les images d’un Paris synonyme de vie meilleure ces images traduisent toutes la réalité de leurs situations, entre errances urbaines, recherche d’emploi, hébergements précaires ou solitude. De courts textes de Joseph Aimard accompagnent les photographies, traduisant les pensées et réflexions de ces personnes exilées qui se cognent en permanence au réel.  

couverture du livre de Joseph Aimard et le collectif Cèdre Photographe, Je suis courage
couverture du livre de Valerio Bispuri Dimenticati

Valerio Bispuri, Dimenticati, Silvana Editoriale, 2023

« Je cherche à explorer le monde intérieur des gens que personne n’aime côtoyer. Les oubliés ». C’est dans ces termes que le photojournaliste italien Valerio Bispuri parle de son travail de photographe, se focalisant ici sur les malades mentaux. Dimenticati résulte d’une longue enquête débutée en 2018 en Afrique, continent où les pathologies mentales sont reconnues depuis peu, et poursuivie en Italie, dans des services d’admission d’urgence de cliniques et des quartiers psychiatriques de prisons. Il a ainsi passé des heures avec les patients, tuant le quotidien avec eux, soit en jouant aux cartes ou en regardant la télévision, avant de les photographier. Ses portraits, réalisés dans un noir et blanc contrasté, sont issus de cette intimité et traduisent tous une souffrance psychique à vif. Ils nous montrent des personnes aux regards soit absents, soit emplis de tristesse ou de peur panique, et semblant de par leurs gestes et postures vivre aux confins du monde. 

Darcy Padilla, Family love, Éditions de la Martinière / 6mois, 2014 

Darcy Padilla est une photojournaliste américaine née en 1965 et membre de l’Agence VU’. Elle a suivi de1993 à 2004 le quotidien de Julie Baird, jeune maman âgée de dix-huit ans en 1993, toxicomane et atteinte du SIDA. Family love dévoile une marginalisation sociale débutée dans le quartier de Tenderloin à San Francisco, ghetto noir de pauvreté et de drogue. Mère de six enfants tous retirés de sa garde, Julie va enchainer une vie de dérive et de pauvreté permanente, provoquée par ses addictions à la drogue et à l’alcool, et qui va se terminer par une mort prématurée en 2004. Un reportage journalistique de cent quatre-vingt-quinze images en noir et blanc accompagné de notes qui nous plonge au plus près de ses joies, de ses doutes, de ses souffrances. L’auteure déclarait à propos du livre :  » J’espère que vous ne cessez de penser à l’histoire de Julie. J’espère qu’elle vous touche. J’espère qu’elle vous fait voir le monde différemment« . 

couverture du livre de Darcy Padilla Family love
couverture du livre de Chris Killip Vague à l'âme

Chris Killip, Vague à l’âme, Nathan Image, 1989 

Le photographe anglais Chris Killip (1946-2020) illustre dans ce livre la lente et méthodique désintégration d’une région, le nord de l’Angleterre, touchée de plein fouet par la désindustrialisation et par la politique ultralibérale de Margareth Thatcher, cette dernière faisant doubler le nombre de gens vivant en dessous du seuil officiel de pauvreté. Pris à la chambre photographique dans la ville de Newcastle-upon-Tyne dans les années 70/80, ville qui vivait d’un prolétariat embauché dans la construction navale et les mines de charbon, ces clichés noir et blanc illustrent la vie quotidienne des classes populaires sacrifiées. Un vie entourée de décrépitude, à l’image de cette jeune fille jouant au cerceau dans un terrain vague bordant la mer. Les décors d’usines fermées, de ciels lourds découpant des paysages noirs de charbon savamment mis en scène par l’auteur forment une poésie des décombres, où la vie persiste toujours, avec son vague à l’âme.  

Jacob A. Riis Photographer & citizen, Aperture,1974 

Les photographies du livre proviennent de la collection privée de la famille Riis (plus tard données au Museum of the City of New York) et décrivent avec force les bidonvilles d’immigrants de la ville de New York, au tournant du XXe siècle. Jacob A. Riis (1849-1914) fut un précurseur du photojournalisme moderne et lui-même immigrant danois ayant vécu jeune dans une grande pauvreté. Un document exceptionnel illustrant le sordide d’une vie dans les immeubles bas du quartier du Lower East Side de Manhattan, et qui va provoquer des réformes sociales importantes, tant les conditions décrites étaient ignobles. Il a photographié entre autres le quartier de The Bend, qualifié par lui de « cœur putride des bidonvilles new-yorkais« , laissant voir des appartements délabrés et exigus, sans fenêtres, et dans lesquels s’entassent des travailleurs pauvres. Une mise à nu d’une misère sociale extrême faite sans concession, et destinée à faire réagir les pouvoirs publics.  

couverture du livre de Jacob A. Riis Photographer & citizen

Classiques à voir et à revoir 

couverture du livre d'Henri Cartier-Bresson Images à la sauvette

Henri Cartier-Bresson, Images à la sauvette, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2024 

Avec cet ouvrage le terme « classique » n’est pas galvaudé : il suffit de penser au titre de l’édition américaine, The decisive moment ou l’instant décisif, terme par contre usé jusqu’à la corde, pour plonger dans l’histoire officielle de la photographie. Éditée à l’origine en 1952 en grand format avec une couverture originale d’Henri Matisse, cette « bible pour les photographes » (dixit Robert Capa) a créé de nombreuses chapelles et ex votos, sacralisant le reportage photographique d’auteur. Fruit du travail des vingt premières années (de 1932 à 1952) de l’un des fondateurs de l’agence Magnum, il est réédité aujourd’hui en petit format, accessible à tous, au-delà du cercle restreint des collectionneurs. Ces images percutantes d’une époque, envisagées comme autant de reflets du monde capturés sur plusieurs continents influenceront de nombreux photographes, notamment William Eggleston, Larry Fink, Sergio Larrain ou Philippe Halsman, etc.  

Melissa Harris, Josef Koudelka Next, Delpire, 2024 

« Seule et unique biographie autorisée de Josef Koudelka » cet ouvrage revient sur la vie et l’œuvre d’un auteur devenu progressivement un classique. Joseph Koudelka, photographe tchèque né en 1938 et naturalisé français en 1987, est l’un des grands représentants du mouvement de la photographie humaniste et poétique, connu notamment pour son travail sur les Gitans en 1962, ou sur l’invasion soviétique de Prague en 1968. Next est le fruit d’une collaboration de dix ans entre Melissa Harris et lui, et s’est construit sur des centaines d’heures d’entretiens avec ses amis, sa famille, ses collègues et ses collaborateurs dans le monde entier. Accompagnée de nombreux clichés, à la fois de son œuvre et de sa vie intime, et d’archives diverses (extraits de correspondances, journaux, etc.) cette dense biographie ravira les admirateurs de son œuvre, tout autant que les amateurs de photographie d’une époque particulièrement prolifique.   

couverture du livre de Melissa Harris Josef Koudelka Next
couverture du livre d'Anthony Penrose Les vies de Lee Miller

Anthony Penrose, Les vies de Lee Miller, Thames and Hudson, 2022  

La flamboyante Lee Miller (1907-1977) posséda plusieurs vies et traversa le 20e siècle telle un météore, passant de modèle pour Man Ray et cover girl pour Vogue à une carrière de photographe reconnue, fréquentant le milieu intellectuel de l’époque (Picasso, Cocteau, Eluard, etc.), pour ensuite devenir photojournaliste sur le terrain de la Seconde Guerre mondiale. La réédition de sa biographie, écrite par son fils, s’accompagne de nombreuses photos, et permet de jauger son parcours exceptionnel, passant du glamour des années folles pour ensuite basculer comme reporter de guerre aux côtés de l’armée américaine. Un état d’esprit aventureux qui fit en 2023 l’objet d’un biopic réalisé par Ellen Kuras (avec Kate Winslet dans le rôle de Lee Miller), lui permettant d’être enfin connue du grand public. L’ouvrage ici permet de se plonger dans les détails de sa vie, imprimant d’autant plus sa légende.   

Bev Grant, Photography 1968-1972, Osmos Books, 2021  

Cet ouvrage compile les archives de la chanteuse folk, cinéaste et photographe américaine Bev Grant (née en 1942), et qui fut également militante politique. Entre 1968 et 1972 elle a notamment photographié les actions du mouvement féministe, des Black Panthers, ou les manifestations contre la guerre du Viêt Nam à New York, délivrant de précieux documents sur ces luttes populaires réclamant plus de justice sociale. Ses photos en noir et blanc résument au plus près cette période électrique de l’histoire américaine, Bev Grant parlant plutôt de « photographie participative » pour qualifier son travail, plutôt que de reportage. Elle fut en première ligne des barricades, elle-même ayant accès au Black Panther Party et à la Campagne des pauvres, et faisait partie du collectif New York Newsreel, coopérative de production et de diffusion de cinéma militant fondée à New York en 1967.   

couverture du livre de Bev Grant Photography 1968-1972
couverutre du livre de Erin Haney et Shravan Vidyarthi Priya Ramrakha

Erin Haney et Shravan Vidyarthi, Priya Ramrakha, Kehrer Verlag, 2018 

Priya Ramrakha (1935 -1968) fut l’un des rares photographes africains à documenter les luttes anticoloniales et post-indépendantes à travers l’Afrique dans les années 50/60, et l’un des premiers à être employé par Time / Life. Les archives de l’ouvrage proviennent d’une boîte en carton trouvée en 2004 dans un garage à Nairobi par son cousin le cinéaste Shravan Vidyarthi, permettant d’envisager largement le travail de ce photojournaliste d’origine indo-kenyane. Un condensé des mouvements indépendantistes de plusieurs pays africains apparaît, au Kenya avec la révolte des Mau Mau contre l’empire britannique, à Zanzibar, mais aussi au Congo, au Yémen, jusqu’à la guerre civile du Nigeria, où il trouvera la mort sous les balles en 1968. Quinze ans d’histoire du continent africain vue par un non européen, et qui va au-delà d’un photojournalisme de guerre, Priya Ramrakha s’étant également essayé à d’autres styles comme la photographie de mode.  

Grandes expositions

couverture du livre de Dennis Morris, Music + Life

Dennis Morris, Music + Life, Thames and Hudson, 2025 

La MEP célèbre le grand photographe britannique Dennis Morris (né en 1960), reconnu pour avoir fait le portrait de Bob Marley et de nombreux groupes de reggae, des Sex Pistols et de PILd’Oasis et d’autres groupes phare de la brit pop comme Radiohead. Si la rencontre déterminante de sa carrière fut Bob Marley et les Wailers cet autodidacte va également photographier dans le quartier de Hackney de Londres la communauté jamaïcaine, ou la communauté sikhe à Southall. Faisant lui-même partie de la génération d’immigrants venus des Caraïbes (nommée « Windrush« ), il va rendre visible dans ses images tous ces exilés anglais. Celui qui rêvait d’une carrière de photojournaliste va également devenir un  directeur artistique prolifique, et produire des images iconiques de la vibrillonnante scène reggae punk londonienne, ses clichés faisant la une de la presse musicale du moment (NMETime OutMelody Maker), ou illustrant de nombreuses pochettes de disques. 

Jusqu’au 18 mai 2025, Maison Européenne de la Photographie (MEP), Paris.   

Céline Laguarde photographe, Musée d’Orsay / Gallimard, 2024  

Le Musée d’Orsay édite le premier ouvrage consacré à Céline Laguarde (1873–1961), figure importante du pictorialisme, mouvement esthétique apparu dans la photographie à la fin du 19e. Une redécouverte pour une artiste majeure qui fut exposée de son vivant en France, en Europe et aux États-Unis, pour finalement être oubliée par l’Histoire. Maitrisant parfaitement les délicats procédés pigmentaires elle laisse une œuvre faite de portraits, études de figures et paysages et s’essaya également à la microphotographie scientifique. Elève de Robert Demarchy, chef de file du mouvement pictorialiste en France, elle va développer son style, qui heurtera une partie de ses contemporains, par la dimension graphique de son œuvre et l’utilisation particulière de l’éclairage, mettant en valeur les accents lumineux. Une autre mise en lumière est désormais faite avec l’exposition au musée d’Orsay, offrant une seconde vie à Gracieuse Céline Laguarde de Camoux. 

Exposition présentée du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025 au  musée d’Orsay, Paris.

couverture du livre de Céline Laguarde photographe
couverture du livre Les jours heureux Jeux olympiques et paralympiques

Les jours heureux, Jeux olympiques et paralympiques, Éditions Fisheye, 2024 

L’été 2024 célébrant les Jeux olympiques et paralympiques fut bien une période de « jours heureux », tant la concorde nationale régnait, Paris devenant la capitale du monde. Ce catalogue est issu de l’exposition du même nom, réalisée sous le commissariat de Benoît Baume, cofondateur de la revue photo Fisheye. Une célébration du sport vue à travers le regard de nombreux photographes spécialisés dans les événements sportifs dont Pauline BalletDenis AllardGeoff Lowe ou Florence Pernet. Ce choix d’approches artistiques différentes a permis de capter, outre les compétitions elles-mêmes, l’intensité et la liesse générale d’un public tout acquis à ces olympiades, qui avaient pour cadre somptueux la ville même, et non les habituelles infrastructures anonymes reléguées en banlieue. Un enthousiasme universel que l’on ressent dans ces clichés, images d’un monde multiculturel pacifié le temps d’un été par des exploits sportifs et artistiques. 

Exposition présentée du 21 décembre 2024 au 1er mars 2025 à l’Hôtel de Ville de Paris.   

Penser la photographie 

couverture du livre de Serge Tisseron Le jour où j'ai tué mon frère

Serge Tisseron, Le jour où j’ai tué mon frère, Lamaindonne, 2025   

En feuilletant un vieil album de famille la nostalgie s’est emparée de Serge Tisseron, qui s’est étonné de ne pas retrouver une photo de lui et de son frère jouant enfants aux « cowboys et aux indiens ». Il la cherche, mais en vain, la dessine selon ses souvenirs, puis finit par faire appel à l’IA générative Midjourney pour la reconstruire (avec soixante-dix-sept mots et trois images). Finalement retrouvée dans une cave, cette image jaunie de 1957 va se confronter à son avatar IA 2024, et provoquer de nombreux questionnements sur le statut de l’image, l’invention de la mémoire, Serge Tisseron convoquant Freud et le physicien Erwin Schrödinger. Ces allers-retours entre réalité, fiction numérique et identité renvoient finalement l’auteur à une réflexion plus large sur le « dire » et les « dits » du photographe et sur l’imaginaire de la photographie face à celui, en construction, fabriqué par l’IA.  

Aline Bovard Rudaz, Femmes-Violences, Les Éditions du Centre de la photographie Genève, 2024  

L’ouvrage d’Aline Bovard Rudaz (née en 1995) s’articule sous le prisme des luttes féministes, elle-même se définissant comme « faisant partie d’une génération de photographes qui utilisent ce médium pour dénoncer un système patriarcal, qui tolère et encourage les violences sexistes et sexuelles« . L’ouvrage revient sur quinze projets photographiques réalisés par des femmes, comme ceux de Laia AbrilSheelasha RajbhandariLudovica bastianiniRebecca Bowring ou Zoé Aubry dénonçant tous les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes. L’essai tente de répondre « aux questionnements éthiques liés à la monstration des images explicites de la violence« , tout autant que de mettre en lumière « le rôle fondamental que jouent les femmes dans la réappropriation de leur image« . L’auteure s’appuie en majeure partie sur un panel contemporain des représentations visuelles apparues avec plus de force depuis le mouvement #MeToo en 2017. 

couverture du livre d'Aline Bovard Rudaz Femmes-Violences

Jeune photographie

couverture du livre de Vic Bakin, Epitome

Vic Bakin, Epitome, Void Books, 2024  

Vic Bakin est un jeune photographe autodidacte ukrainien basé à Kiev. Epitome rassemble des photographies de paysages marqués par la guerre, datant de 2022-2023, couplées à un travail plus ancien, illustrant des portraits de nus masculins, certains modèles ayant été enrôlés dans le conflit. Ces corps d’hommes nus, capturés avec douceur, semblent répondre par leurs fragilités aux stigmates de la guerre : arbres et voitures calcinées, murs criblés de balles ou champs de tournesols flétris (l’un des symboles ukrainiens), etc. Vic Bakin a imprimé ses images dans une chambre noire improvisée dans son appartement, jouant avec les imperfections chimiques, les accidents de laboratoire, comme si la guerre avait également envahi la pellicule. Taches chimiques, empreintes digitales, négatifs inversés et cyanotypes créent alors un univers esthétique où l’on retrouve une poésie des décombres.  

Sitara Thalia Ambrosio, Fragile as glass, Verlag Kettler, 2024   

Sitara Thalia Ambrosio est une jeune photojournaliste allemande, vivant entre Kiev (Ukraine) et Hanovre (Allemagne). Son travail s’articule autour des questions sur le genre, la migration et les violations des droits humains. Fragile as glass rend compte de la communauté queer en Ukraine, dont la situation s’est aggravée avec la guerre. L’auteure décrit l’accentuation d’une propagande homophobe et anti-trans menée par la Russie, et la persécution des activistes queer. De nombreux portraits de la communauté LGBTQI+ construisent le livre, accompagnés chaque fois d’un témoignage. Tous parlent de leurs vies respectives, de leurs peurs, leur désarroi et leur solitude sous les bombes russes. Le livre est accompagné du texte « Beyond Pain » de la journaliste Yana Radchenko, spécialiste des questions d’égalité de genre et de féminisme, elle-même ayant fui sa ville natale pour échapper aux troupes russes.   

couverture du livre de Sitara Thalia Ambrosio, Fragile as glass
couverture du livre de Maëva Benaiche, Staccato

Maëva Benaiche, Staccato, Light Motiv, 2023   

Staccato est la première monographie de la lauréate  du « Grand Prix Photo » ETPA 2021, Maëva Benaiche (France, 1996). Son écriture photographique en noir et blanc célèbre les paysages brumeux et les images mystérieuses, jouant avec l’opacité et la texture des choses, l’ombre et le flou. Cette œuvre introspective empreinte de sensualité lui permet, nous dit-elle, de se décharger « du poids des mots sur ma langue« , ce  qui n’est pas une simple image. Maëva Benaiche transcende son bégaiement qui l’a souvent paralysée dans les interactions avec les autres, l’empêchant de verbaliser exactement sa pensée. La photographie est devenue pour elle une façon de s’exprimer pleinement, d’atteindre la vérité intime de ses sentiments, sans ces mots qu’elle a tant de mal à trouver. Son ouvrage fonctionne comme un manifeste :  « Staccato. C’est pour scander, c’est pour clamer, c’est pour l’assumer : je suis bègue et je suis photographe« .  

Atong Atem, Surat, Perimeter Édtions, 2022  

Atong Atem est une artiste et écrivaine soudanaise née 1991. Elle a passé ses premières années dans un camp de réfugiés au Kenya avant de s’exiler en 1997 en Australie, cette expérience traumatisante ayant façonné les thématiques de son travail de photographe : migration, diaspora et postcolonialisme. Surat (« instantanés » en arabe soudanaisest son premier livre, et un hommage aux photos de famille, vu sous le prisme de l’autoportrait. Atong Atem se met en scène de façon performative dans différentes tenues et situations, sans sourire, dans des décors aux imprimés africains. Homme ou femme, elle endosse tous les rôles, assimilant un condensé des membres de sa famille et de personnages inventés. Son père, Atem Yaak Atem, ayant travaillé pour le Mouvement populaire de libération du Soudan lui a écrit un texte intitulé « Les photographies, des documents qui ne mentent pas ».  

couverture du livre d'Atong Atem, Surat
couverture du livre de Charlie Engman, Mom

Charlie Engman, Mom, Éditions Patrick Frey, 2020   

Première monographie de Charlie Engman (États-Unis, 1987), Mom est une collaboration entre le photographe et sa mère, Kathleen McCain Engman, qui pose pour son fils depuis 2009. Loin d’une étude classique tentant de symboliser avec respect l’amour maternel universel, celui-ci se construit comme une expérience artistique mutuelle, proche de la performance et de l’expérimentation délirante. Mom s’est pliée à toutes les excentricités de son fils ou, semble-t-il, lui aux siennes. Jouant tantôt à un personnage à la Cindy Sherman ou fabriquant une scène à la Jurgen Teller, ces mises en scène relèvent souvent de l’absurde ou de l’étrange, sans oublier un humour facétieux. La mère n’hésite pas également à jouer avec sa nudité, ou à se plier à des portraits plus académiques. Au final, cette collaboration de dix ans offre un portrait composé comme un collage d’images, d’émotions et de situations diverses entre une mère et son fils, dévoilant une grande complicité.  

Autres acquisitions

couverture du livre Rebecca Norris Webb, A difficulty is a light

Rebecca Norris Webb, A difficulty is a light, Chose Commune, 2024    

Avec cet ouvrage Rebecca Norris Webb (États-Unis, 1957) nous propose son « premier livre de poésie hybride ponctué de 15 de [s]es photographies« . Provoqué par le suicide de son frère en 2022, il traite de la « géographie du deuil« , et associe paysages et prose poétique. « See how the emptiness shines« , nous dit-elle, et on ne peut qu’être transporté par sa méditation doloriste en prise avec la nature, Rebecca Norris Webb nous invitant à un voyage intime associant ses textes aux décors hiératiques des Badlands du Dakota du sud, ou aux envols d’oiseaux au crépuscule dans le sud des États-Unis et le Nord de la France. Les tercets sont apparus en premier, composant les premiers pas de ce « livre-élégie » dédié à son frère, les photographies agissant comme « un repos dans la musique, prolongeant le silence entre les dix mouvements poétiques, un silence souvent teinté de bleu et d’or« .  

Une interview (en anglais) par Sophie Wright de Rebecca Norris Webb disponible ici, sur le site LensCulture.  

Larry Towell,The history war, Gost books, 2024    

The history war se présente sous la forme d’un scrapbook composé par Larry Towell (Canada, 1953), photojournaliste membre de l’agence Magnum. Ses photographies se nourrissent de notes personnelles griffonnées, de cartes postales sous forme d’éphéméride, de photos de famille retrouvées, ou d’archives diverses. Composé en six chapitres l’ouvrage traite de la guerre russo-ukrainienne, depuis le soulèvement de Maïdan en 2014. À partir de cette date Larry Towell n’a cessé d’aller en Ukraine, documentant tous les événements : Invasion du Donbass, images des crimes contre l’humanité à Bucha, accompagnement de l’armée ukrainienne à Bakhmut ou des séparatistes à Donetsk, etc. Un reportage rendant compte au plus près des ukrainiens du chaos de la guerre, que l’on ressent dans cette accumulation faussement anarchique de documents divers que constitue l’ouvrage.  

couverture du livre Larry Towell, The history war
couverture du livre Jim Mangan, The Crick

Jim Mangan, The Crick, Twin Palm Publishers, 2023   

Le photographe américain Jim Mangan dépeint dans ce livre la vie d’un groupe d’adolescents issus d’une communauté appartenant à l’église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours, dans la ville de Short Creek (entre l’Utah et l’Arizona). Ce sont les derniers habitants de The Crick, après que le chef de l’église a été emprisonné en 2011 pour abus sexuels sur mineurs. Son écriture photographique, faite d’un noir et blanc sombre et somptueux entrecoupé de quelques photos couleur transporte ces garçons perdus dans une dimension allégorique : Face aux paysages majestueux et immuables de l’Ouest américain, ces jeunes hommes, carabine à la main et à cheval, habillés comme des cow-boys, semblent vivre un western moderne, seulement parasité par la chevauchée de moto-cross. Un reportage dont la beauté picturale des images, saisissante, nous transporte dans un eden sauvage et intemporel.   

Ed Panar, Winter night, walking, FW:Books / Spaces Corners, 2023   

Avec un titre faisant référence au livre de Robert Adams Summer Nights, Walking, celui-ci parle de Pittsburg (États-Unis), ville qu’Ed Panar (né en 1976) a arpenté de nuit, en hiver. L’impression tenace de se promener dans une ville fantôme persiste au fil des pages, ces paysages urbains, étouffés par la neige, ne laissant apparaitre aucune présence humaine. Le silence et le calme se dégagent de ces superbes photographies de nuit en noir et blanc, réalisées à travers la déambulation. Éclairages de rue, utilisation du flash et structures remodelées par la neige provoquent une étrangeté à ces décors urbains pourtant familiers : rues, poteaux, collines, maisons, escaliers formant alors un environnement étrange. Au milieu du livre trône l’image d’une lune rouge, majestueuse, brillant dans un ciel d’encre comme une présence surnaturelle.

  

couverture du livre d'Ed Panar, Winter night