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Du mardi au dimanche de 11h à 18h au 58 allées Charles de Fitte (nouveau lieu pendant la durée des travaux).
Photographies vernaculaires et histoires de famille
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Ce que l’on appelle photographie « vernaculaire » englobe la photographie anonyme ou amateur, les photos de famille, les clichés scientifiques ou à valeur strictement documentaire, les cartes postales, etc. Éminemment populaire et d’une transversalité universelle, elle convoque toutes les écoles, les nationalités, les genres. Longtemps ignorée des institutions muséales, elle a acquis au fil du temps une difficile légitimation culturelle. La notoriété d’auteurs comme Walker Evans, Martin Parr ou Larry Sultan a accéléré le processus, appuyé par des historiens de la photographie, sans oublier le travail acharné de collectionneurs passionnés qui ont produit des expositions et des livres.
Retrouvez cette sélection de livres à la bibliothèque, 58 allées Charles de Fitte.
Une brève définition de la photographie vernaculaire
QUELQUES REPÈRES
Clément Chéroux, Vernaculaires, Le point du jour, 2013
Clément Chéroux (né en 1970), historien de la photo, définit ce qu’est le concept de photographie vernaculaire en constituant deux grandes familles : la première, appliquée ou utilitaire, et la seconde, domestique. Utilitaire comme les clichés scientifiques, militaires, ou toutes images ayant valeur de document (issues de catalogues, de relevés…), et la seconde, domestique, avec les clichés de famille, part essentielle de la photo amateur. L’ouvrage décrit également les pratiques populaires situées il y a encore peu de temps en dehors de toute légitimation culturelle : la photographies spirite, tentant de prouver l’existence des spectres, ou bien encore l’imagerie scientifique issue des clichés au rayons X.
Sous la direction de Clément Chéroux, Walker Evans, Centre Pompidou, 2017
Walker Evans (1903-1975), né dans l’état du Missouri, a revendiqué dans son œuvre le concept de vernaculaire, plutôt que de photographie documentaire. Il va inlassablement révéler dans son travail l’identité américaine, débuté par la mission pour la Farm Security Administration (FSA) dans les noires années 1930. A partir de cette date, il va chroniquer l' »américanité » en radiographiant la culture populaire formée par les objets et les signes visuels du quotidien (affiches publicitaires, enseignes, objets, etc…), les espaces de circulation ou les lieux de vie ordinaires comme le métro. C’est l’Amérique des anonymes qu’il entend mettre en valeur. Il est devenu l’un des photographes américains les plus marquants du XXe siècle.
Sous la direction de Val Williams, Martin Parr, Phaidon, 2002
Martin Parr (né en 1952) est un photographe britannique membre de la coopérative photographique Magnum Photos depuis 1994. Il chronique avec beaucoup d’humour et d’empathie les loisirs et modes de consommation de ses compatriotes, laissant éclater dans ses images la couleur. Également grand collectionneur obsessionnel cet artiste reconnu s’intéresse depuis les années 70 à la photographie vernaculaire, qui selon lui « fourmille d’indices« , notant « qu’une bonne photo vernaculaire montre ce qui va disparaître« . Il ajoute : « La photo vernaculaire est celle qui a une valeur d’usage ou commerciale sans que l’on se pose la question de sa qualité propre : les photos des maisons jointes aux annonces d’agences immobilières, les catalogues de vente par correspondance ou de grands magasins, les cartes postales, les petites annonces illustrées dans la presse, les photos de mariage, les photos de famille…« .
Larry Sultan et Mike Mandel, Evidence, D.A.P., 2003
Larry Sultan (1946-2009) et Mike Mandel (né en 1950) ont sélectionné quarante-neuf photos issues de plusieurs structures ou agences gouvernementales américaines (du Los Angeles Police Department, du ministère de l’Intérieur, d’agences de recherche, etc.) pour construire cet ouvrage. Des images réalisées initialement à des fins scientifiques d’enregistrement de faits et d’expériences en laboratoire, et que l’on pourrait classer dans la photographie utilitaire ou documentaire. Par leur regard les deux auteurs en ont fait un catalogue de l’étrange et du bizarre organisé méticuleusement par des scientifiques en blouse blanche. L’enchainement réfléchi des quarante-neuf clichés déroule une narration construite par de éléments inquiétants, des détails abscons qui font entrer ces photos à priori « banales » dans le monde de l’art.
Stephen Shore, Uncommon places, Aperture, 1982
Dans les années 1970 le photographe Stephen Shore (né en 1947) entame un road trip à travers les Etats-Unis, délaissant sa vie new-yorkaise pour découvrir un pays qu’il ne connait pas. il va dès lors s’employer à révéler l’étrange beauté des lieux anonymes, tels les stations-service, les rues désertes ou encombrées de villes et bourgades américaines, on bien encore photographier un pavillon de banlieue, des panneaux publicitaires ou un plat dominical, etc. Une grammaire du vernaculaire américain en couleur va se dessiner subtilement, composée sans affects au fil de ses pérégrinations en voiture. Publié en 1982 ce livre majeur va influencer de nombreux photographes voulant capturer l’essence de l’American dream dans sa banalité la plus éloquente.
Albert Londe, Photo poche n°82, 1999
Le français Albert Londe (1856-1917) débuta sa carrière en 1882 à Paris à l’hôpital de la Salpêtrière comme chimiste, et obtint ensuite la responsabilité du laboratoire de photographie. Il va avoir l’opportunité de créer de nombreuses inventions dans le domaine de l’imagerie médicale, comme la photographie à rayon X, et va utiliser la chronophotographie pour tenter de comprendre les malades du neurologue et psychiatre Charcot. Ce génial professeur Tournesol, pionnier de la photographie scientifique et précurseur du cinéma (avec son utilisation du praxinoscope), constitua avec Tissandier en 1887 la « Société d’Excursions des Amateurs Photographes », prenant en photo le monde du cirque ou de la corrida, immortalisant des scènes de vie quotidienne, etc., intronisant ainsi le concept de photographie amateur.
PHOTOGRAPHIES ANONYMES : COLLECTIONS ET COLLECTIONNEURS
Tout doit disparaître, Collection Jean-Marie Donat, Innocences publishing, 2021
Rassemblé sous la thématique du « Regard sur la société de consommation » l’ouvrage offre près de cinq cent images datant de 1880 à 1980 choisies minutieusement parmi la collection vernaculaire de Jean-Marie Donat, qui compte près de 40 000 unités. Ces archives populaires du XXe siècle illustrent ce qu’a pu être notre mode vie capitaliste occidental, basé sur la consommation de loisirs et d’objets ad nauseam. Une accumulation qui procède d’un humour grotesque, sous-tendu par un léger brin d’effroi, comme face la série « Danse du dollar », ou à l’image de ce couple, tout sourire, pris en photo devant une table débordant de victuailles. Un exemple édifiant de ce que ce genre photographique peut proposer, mêlant à la fois l’intime et le collectif, comme a pu le dire Christian Boltanski.
A découvrir aussi « Ne m’oublie pas, Belsunce, Marseille – 1965-1980« , sous la direction de Souâd Belhaddad, l’histoire photographique de ce quartier populaire de Marseille à partir de la collection Donat aux éditions Delpire&Co.
Jacques Barbier, Numéro masqué, Le Contentieux, 2021, Mes roses, Happy Snaps, 2021, Mes cactus, Happy Snaps, 2021, No comment, autoédité, 2019. Elise Pic et Jacques Barbier, Toi et moi, Kloug Editions, 2021
Après avoir animé le Kloug, un atelier-galerie à Toulouse, le duo de collectionneurs Jacques Barbier/Elise Pic s’est reconstitué en collectif nommé « Le commun des mortels« , toujours dédié à la photo amateur. Une collection qui a été constituée comme un « patrimoine photographique de l’ordinaire, qui assemble en un collage reliquaire des “presque riens”, des presque soi, des petites madeleines, des accidents sublimes, la vie mode d’emploi« . Un hommage sincère et vibrant à cette imagerie vernaculaire, chinée inlassablement dans les poubelles, brocantes ou autres vide-greniers. « Kloug », fidèle à ses origines populaires, fait référence à ce gâteau immangeable du film culte Le Père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982).
Robert Flynn Johnson, Anonymous, Thames and Hudson, 2004
Le sous-titre « Enigmatic images from unknown photographers » résume l’objet du livre : une sélection de plus de deux cent clichés anonymes, rassemblés par le collectionneur et curateur Robert Flynn Johnson, la plupart datant du début du XXe siècle. Classées par thèmes (« Creatures », « Signs and Messages »ou « Endings and Infamy », etc.), les photographies possèdent toutes une « inquiétante étrangeté », une beauté dérangeante révélée par le choix judicieux du curateur, véritable dénicheur du bizarre. Robert Flynn Johnson raconte : « Trouver telle ou telle image anonyme appartient au règne du hasard. Dans ce domaine, le plus important n’est ni l’argent ni la connaissance, mais la curiosité. C’est elle qui, avec le temps, et le travail du regard, permettra d’acquérir la connaissance ».
Las Mexicanas, Editorial RM, 2023
Ce livre est l’une des toutes dernières parutions de la maison d’édition barcelonnaise Editorial RM, et propose une collection de photographies vernaculaires mexicaines datant du milieu du XIXe siècle, jusqu’aux années 1960. Ces images, minutieusement choisies par le photographe, écrivain et éditeur Pablo Ortiz Monasterio proviennent d’une collection privée, amassée en chinant dans les marchés aux puces de Mexico. Ces portraits de studios ou photos de famille représentent des femmes de tous âges ou conditions sociales, se mettant en scène dans des poses étudiées, ou s’illustrant dans des petits moments de la vie quotidienne. Des images possédant toutes le charme vintage propre à cette grande tradition de la photo amateur.
Omar Victor Diop & The Anonymous project, being there, Textuel, 2023
Omar Victor Diop est photographe sénégalais pratiquant l’autoportrait. Il s’inspire de l’héritage de la photographie des studios africains et détourne les représentations coloniales pour créer une nouvelle histoire visuelle. Pour ce livre, il a collaboré avec le réalisateur-collectionneur Lee Shulman (initiateur de The Anonymous Project). Omar Victor Diop s’est ajouté avec humour dans les photographies anonymes américaines des années 1950 et 1960 représentant la classe moyenne américaine blanche. Il surgit ainsi dans les photos de famille, les lieux de vacances ou de voyages. Ces nouvelles scènes ainsi réécrites bousculent les stéréotypes et interrogent le regard.
L’album de famille et l’autofiction
L’ALBUM DE FAMILLE, LA PHOTOGRAPHIE AMATEUR PAR EXCELLENCE ?
L’album photo que toute famille détient enregistre la mémoire familiale, parle du temps qui passe, de la vie et de la mort… Dans ces images à grande valeur sentimentale sont fixés les souvenirs d’une vie, des rituels (mariage, naissance, fête) à la célébration des joies du quotidien. De nombreux photographes ont puisé dans leurs archives personnelles, ou celles d’anonymes, pour reconstruire une identité, ou créer des fictions narratives réinventant un passé qui n’a peut-être jamais existé.
Jean-Pierre Moulères et Dominique Cabrera, Chercheurs de midi, Le bec en l’air, 2013
Le livre résulte d’une collecte photographique de plus de 10 000 clichés amateurs, réalisée grâce à un appel à contribution lancé en 2012 auprès d’habitants de la région de Marseille. Le projet était « d’élaborer, en mettant en commun des photos personnelles, un album qui dessinerait un portrait de vie dans le Midi, de ses gens, de ses lieux, de ses façons d’être et de vivre« . Les auteurs ont au final sélectionné plus de deux cent images, en couleur et en noir et blanc, argentique ou numérique, et de toutes époques, pour dessiner « un album des albums de famille« .
Irène Jonas, Mort de la photo de famille ?, L’Harmattan, 2010
La sociologue et photographe Irène Jonas analyse ici la pratique amateur de la photographie de famille, tant sur le point historique que symbolique. Face à l’avènement du numérique, qui permet de photographier les personnes à l’infini, elle pose la question des nouveaux codes et rites de cette pratique : » La photographie numérique familiale s’éloigne-t-elle alors de sa fonction de gardienne de la mémoire pour devenir un acte social de communication d’émotions ?, l’album photos est-il voué à disparaître sous sa forme traditionnelle ? « . Un ouvrage bien documenté, et qui permet d’avoir une vision complète du sujet.
Anne-Marie Garat, Photos de famille, Seuil, 1994
La romancière Anne-Marie Garat (1946-2022) a fait de ces photographies anonymes une source d’inspiration littéraire : « Le livre des photos familiales est un vrai livre, dont les pages d’images, même éparses, se feuillettent comme un roman. Roman des origines, chroniques, récit de vie, autobiographie, légende, tout ensemble« . L’ouvrage se construit par un corpus d’images choisi par l’auteure, chaque photographie étant décrite et racontée sous le prisme littéraire. Une démarche destinée à fabriquer un « album imaginaire » qui tend vers l’universel.
Sophie Spencer-Wood, Famille, les photographes photographient leur famille, Phaidon, 2005
L’ouvrage rassemble de nombreux noms de la photographie, connus et moins connus (Edward Steichen, Bernard Plossu, Fernando Scianna, Nan Goldin, mais aussi Susan Andrews, Elinor Carucci ou Robin Grierson, etc.) ayant pris pour sujet leurs proches ou leurs familles respectives. Ces images ne sont guère différentes de celles de n’importe quel album-photo que tout le monde possède, dans ce qu’elles racontent inlassablement les histoires de famille. Des légendes comme « Max dans son pyjama rouge« , « Le matin de Noel« , « Ma mère me conduit sous la pluie« , ou bien encore « Venetia et Lola en Jamaïque » renseignent une vie qui s’écoule dans la banalité d’un quotidien fait de petits riens et de grands moments existentiels.
Rima Samman, L’amour se porte autour du cou, Filigranes Éditions , 2020
Rima Samman, artiste libanaise installée en France, revient dans ce livre sur son roman familial, par le biais d’interventions plastiques, colorisant les clichés en noir et blanc des êtres chers parfois déjà disparus. « Enfant, j’étais captivée par l’imaginaire fantasmagorique qui débordait de l’album de famille de mes parents. J’aimais beaucoup m’y plonger en mes heures perdues, surtout à l’heure de leur sieste. Je me racontais alors un tas d’histoires romancées, inspirées des films égyptiens diffusés alors à la télé libanaise » explique Rima Samman. Fruit de six ans de collecte, l’album de famille (des années 1930 à 1970) permet de réunir une famille dispersée aux quatre coins du monde au fil des générations.
AUTOBIOGRAPHIE ET FICTION, Où EST LE VRAI ?
Anne Delrez, L’autobiographie comme mensonge, Les Éditions de la Conserverie, 2017
A la base du projet d’Anne Delrez (fondatrice de La Conserverie) il y a des photos d’amateurs de toutes époques issues de dons au Conservatoire National de l’Album de Famille. Ces images disparates ont ensuite été proposées à un groupe, chaque participant en choisissant une, pour ensuite écrire un texte inspiré par l’image sélectionnée. L’ouvrage s’est construit par ces « autobiographies mensongères« , reproduisant le texte manuscrit de chaque participant. Un projet participatif qui fait revivre la mémoire familiale par la fiction, et questionne d’une façon détournée la véracité de tout récit autobiographique.
Justine Levy and The Anonymous Project, Histoires de familles, Flammarion, 2019
Créé en 2017 par l’anglais Lee Shulman, The Anonymous Project rassemble et conserve des diapositives couleur de la fin des années 1930 au milieu des années 1980, prises par des amateurs du monde entier. Justine Levy, écrivaine et éditrice, s’est appropriée cette impressionnante collection vernaculaire en Kodachrome, en réinventant une fiction propre à chaque image. Histoire de familles est un projet sensiblement proche de celui d’Anne Delrez, dans cette fabrique illusoire de la mémoire, son talent d’écrivaine offrant des textes souvent drôles et décalés inspirés par les images, seules informations dont elle dispose pour projeter ses histoires.
Michel Campeau, Une autobiographie involontaire : Rudolph Edse, Éditions Loco, 2017
Michel Campeau (né en 1948) questionne également dans cet ouvrage la question du « vrai » dans l’autobiographie. Ayant récupéré sur Ebay de nombreuses photos de famille de Rudolph Edse, scientifique allemand expatrié aux Etats-Unis, et lui-même photographe amateur, il va en reconstituer l’album autobiographique selon ses désirs. Par ce montage fictionnel Michel Campeau offre une nouvelle vie à cet homme. Il nous fait découvrir par la même occasion un instantané de l’American way of life embrassé par une famille prospère et souriante, condensé d’un consumérisme béat typique des années 1950.
RACINES ET PART D’OMBRE FAMILIALES
Tomasz Laczny, Erna Helena Ania, Blow Up Press, 2021
L’artiste visuel anglo-polonais Tomasz Laczny dévoile dans cet ouvrage son histoire familiale douloureuse : né en Pologne, il a découvert à sept ans que sa grand-mère maternelle, tombée amoureuse d’un polonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un pays occupé par les nazis, était allemande. Un amour interdit qui va façonner au fil du temps les non-dits et l’occultation partielle de sa mémoire familiale. Des photos de familles, dessins et autres inserts de cartes postales ou de documents officiels des années 40 reconstruisent ainsi son passé, tout en rendant hommage à sa grand-mère. Ici, les photos font parler l’oubli, la mémoire et la perte de l’identité.
Camille Carbonaro : O fatche, J’ai arraché mon premier cheveu blanc, Mouni mouni, Éditions Macaronibooks, 2020
Camille Carbonaro est photographe et fondatrice depuis 2016 des éditions indépendantes Macaronibook. Elle est également à l’origine de la plateforme Eatmypaper, organisant un salon d’autoédition et de microédition, d’animation d’ateliers et de workshops autour de l’objet-livre. Ces multiples activités se centrent autour de thématiques telles que la mémoire, l’identité, la généalogie et les racines familiales. Un univers décliné avec poésie, mêlant des archives personnelles et anonymes, photographies et textes, broderies et collages… Un éloge de la photographie vernaculaire, que l’on retrouve dans l’histoire de sa grand-mère (Mouni Mouni), le passage à l’âge adulte dans J‘ai arraché mon premier cheveu blanc, ou l’histoire de son père avec O fatche.
Shiraz Bazin-Moussi, L’écume des amnésies, Le Bec en l’Air, 2020
Shiraz Bazin-Moussi a régulièrement passé ses vacances d’été sur les îles Kerkennah, archipel tunisien perdu dans la Méditerranée au large de la ville côtière de Sfax et un temps oublié par Google Map. Cet incroyable oubli a provoqué chez elle un questionnement sur la mémoire collective, la construction de l’histoire officielle de la Tunisie, dont Kerkennah fait partie : patrie de Farhat Hached, l’un des artisans de l’indépendance, l’île a également hébergé Habib Bourguiba. Les « amnésies collectives » se télescopent ainsi avec ses propres souvenirs d’une enfance insulaire heureuse, par des photographies prises grâce à une technique rare, le tirage Fresson. Le rendu particulier des couleurs imprime une tonalité nostalgique aux réminiscences d’un passé vécu par l’auteure comme édénique : « J’ai fait le voyage avec ce qu’il restait de mon regard et de mes sensations d’enfant, de loin mes souvenirs de vacances les plus intenses et les plus joyeux« .
Carolle Benitah, Photos souvenirs, Kehrer, 2016
La photographe Carolle Benitah (1965-2024) utilise son album de famille et réinterprète les clichés par des ajouts de textes, collages ou broderies. Une démarche visant à déconstruire l’image de la famille idéale souvent représentée sur ces souvenirs imprimés, pour faire apparaître la part d’ombre, qu’elle nomme gravement « la matière noire de l’histoire familiale ». L’auteure confronte ses propres peurs et fragilités à travers le détournement des clichés, utilisant la photographie comme une « béquille existentielle« . Un travail plastique qui questionne les représentations des femmes : « la broderie, signe d’une bonne éduction de femme d’intérieur et le propos que je dénonce ne font pas de moi ce à quoi j’étais destinée : une sage fille, une bonne épouse et une mère aimante« .
Julien Magre, Caroline histoire numéro deux, Filigranes Éditions, 2010
Julien Magre (né en 1973), déroule dans ce livre son histoire de famille de façon chronologique : il a commencé à photographier sa femme, Caroline, en 2000 puis ses deux enfants, Louise, à partir de 2004, et Suzanne, depuis 2007. Des images de sa vie familiale, que l’auteur met en scène d’une façon à la fois intimiste et pudique, empreintes de mélancolie et de douceur. Une banalité des jours qui passent, fixée sous le regard aimant de l’auteur qui nous fait entrer dans cette « poétique du quotidien« . Julien Magre documente depuis plus de vingt ans sa vie intime dans son travail, intégrant également les parts les plus sombres : sa fille Suzanne décèdera en 2015 d’une leucémie à l’âge de huit ans.
Pour approfondir le sujet, vous trouverez à la bibliothèque bien d’autres livres sur cette thématique. Ainsi que des titres sur des sujets voisins comme l’autobiographie, la réutilisation d’archives par les artistes, l’histoire des studios photographiques notamment la grande tradition africaine du studio, des portraits de communautés…
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