Exposition Richard Pak « La Firme » > 24 oct. 2024 – 5 janv. 2025 – Fermetures exceptionnelles à 16h les 24 et 31 décembre.
Du mardi au dimanche de 11h à 18h au 58 allées Charles de Fitte (nouveau lieu pendant la durée des travaux).
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1 mois 1 thème : Islomanie
A l’occasion de l’exposition « La Firme » de Richard Pak nous vous proposons une sélection d’ouvrages ayant pour thématique la vie insulaire. L' »islomanie », concept développé par Laurence Durrell (dans son roman Vénus et la mer), traduit « une rare affection de l’esprit » rendant l’attrait des iles comme « irrésistible« . L’écrivain britannique en fut sévèrement atteint, vivant plusieurs années à Corfou, Chypre ou Rhodes, obnubilé par ces contrées méditerranéennes. Ici, à des degrés divers cette islomanie nous entraine sur des iles fantômes avec Stéphanie Roland, à La Réunion avec Julien Coquentin, ou dans une enquête sur une île-volcan islandaise avec l’ethnologue Vanessa Doutreleau et le photographe Hervé Jézéquel, etc. Autant de propositions différentes envisageant la spécificité insulaire.
Richard Pak, La firme, Atelier EXB, 2024
Avec cette monographie Richard Pak (France,1972) nous propulse sur l’archipel volcanique de Tristan da Cunha, morceau de terre britannique perdu dans l’Atlantique sud, et réputé « territoire habité le plus isolé au monde ». La beauté sauvage de l’ile affleure dans ses photographies, révélant une nature où le vert profond domine, ceinturée par des falaises abruptes tombant à pic dans le bleu de l’océan. Des portraits d’habitants, vivant soit de la pêche ou de l’agriculture ponctuent ces paysages balayés par les vents, comme pour nous rappeler leurs lointaines existences. On découvre également à travers le journal de bord de Richard Pak la vie de cette communauté insulaire qui jadis vécu sous un régime utopique de démocratie directe (« The Firm »), avec une absence de propriété privée et une mise en commun des biens. L’ouvrage se construit à la fois comme une expérience de voyage ultime pour l’auteur, et comme un témoignage documentaire précieux sur la vie d’insulaires aux confins du monde.
Vanessa Doutreleau, Hervé Jézéquel, Surtsey la forme d’une île, Créaphis Éditions, 2020
Surtsey est une île volcanique située au sud de l’Islande, d’une superficie de 1,4 km2, et créée après une série d’éruptions de 1963 à 1967. Plus jeune île du monde, elle est une réserve naturelle protégée depuis 1965 et interdite d’accès depuis, hormis pour les scientifiques. Car cette terre vierge symbolise ce qu’a pu être notre monde à l’aube de l’apparition de la vie, et offre l’opportunité aux entomologistes, botanistes ou géologues divers d’étudier cette apparition in situ. L’ouvrage, passionnant, revient sur l’histoire de Surtsey depuis sa création, et s’accompagne de textes des deux auteurs, d’archives et autres sources (cartographie, clichés d’inventaire de la faune et de la flore, etc.). Cet écosystème insulaire est également traduit par les photographies de paysage d’Hervé Jézéquel (France,1967), rendant toute l’extraordinaire beauté de ces sols lunaires à la végétation rare. Aujourd’hui l’île possède près de soixante-seize espèces de végétaux, 335 d’invertébrés et quatre-vingt-neuf d’oiseaux.
Mark Power, Terre à l’amende, Gost Books, 2021
Les photographies ont été réalisées sur l’île Anglo-Normande de Guernesey dès 2016, dans le cadre d’un programme d’une résidence d’artiste initiée par le Guernsey Photography Festival. Mark Power (Grande-Bretagne, 1959) entreprend dans son projet une minutieuse déconstruction des clichés associés à cette dépendance britannique. Car Guernesey est réputée pour ses stations balnéaires distribuant un farniente chic, de par les falaises côtières, le château Cornet ou la demeure de Victor Hugo, etc. Certains touristes joignent l’utile à l’agréable en profitant de son statut de paradis fiscal. Dans Terre à l’amende le photographe a évité, comme il le souligne, de produire des cartes postales de l’île, s’attachant essentiellement au détail, à l’anachronique. Le banal côtoie parfois l’absurde, à l’image de ce cliché d’un personnage en short et panama, assis sur un pliant, peignant consciencieusement sur le sol le mot « PRIVATE », le dos à la mer. Le titre de l’ouvrage vient de la profusion sur l’île de panneaux proclamant « Terre à l’amende », et qui menacent tout contrevenant d’une amende en cas de violation de propriété.
Hoda Afshar, Speak the wind, Mack, 2021
Hoda Afshar (née en 1983 en Iran) a parcouru les îles du détroit d’Ormuz, sur la côte sud de l’Iran, haut lieu du commerce international, et ce depuis l’Antiquité. Mais c’est aux croyances populaires qu’elle s’est intéressée, et plus particulièrement au Zār, un « vent mauvais » censé causer malaise ou maladie. Pour se désenvouter de cet esprit malin un chef de culte doit procéder à un rituel pour communiquer avec le vent à travers le patient afin qu’il quitte son corps. Son écriture photographique, combinant couleur et noir et blanc, approche avec poésie cette présence surnaturelle qui semble habiter les personnages et les lieux. Hoda Afshar magnifie les paysages de l’île, constitués de concrétions minérales aux tons ocre possédant des formes étranges, anthropomorphes. Parfois des personnages drapés apparaissent, isolés dans ces décors spectaculaires sculptés par le vent pendant des millénaires. Le livre comprend également des dessins réalisés par les insulaires racontant leurs expériences de possession.
Julien Coquentin, Tropiques, lamaindonne, 2020
Julien Coquentin (France, 1976) a passé deux ans avec sa famille sur l’île de La Réunion, département français de l’océan Indien. Il célèbre ici ses paysages tropicaux, en y intégrant des portraits de sa femme et de ses trois enfants. Mais Tropiques a la particularité de présenter à la fois un travail photographique et littéraire, les deux étant intrinsèquement liés : l’auteur avoue que « l’écriture ressemble à [s]a photographie et qu’il est donc possible de les confondre« . Le lecteur se laisse ainsi petit à petit envahir par la moiteur brumeuse de l’île et ses clairs obscurs savamment distillés dans les images, marchant dans une jungle que l’on sent hostile, tout comme dans les cinq nouvelles du livre qui diffusent lentement le sentiment d’une crainte irraisonnée. Car ces petites histoires, construites comme des contes, ont également pour décor l’île à la canopée inextricable, soumise aux ouragans, et habitée par de personnages troubles. Tropiques s’envisage comme une expérience sensorielle, donnant à l’île de La Réunion un pouvoir ensorceleur.
Stéphanie Roland, Isles of seven cities, The Eriskay Connection, 2024
Stéphanie Roland (née en 1984) est une artiste visuelle et cinéaste belgo-micronésienne. Elle a articulé son projet autour d' »îles fantômes », dont « l’existence a été acceptée pendant un certain temps (parfois des siècles) et qui a été mentionnée sur des cartes, mais qui a ensuite été supprimée parce qu’il a été prouvé qu’elle n’était pas réelle« . Isles of seven cities raconte les histoires d’Eon Island, Hy-Brasil Island, Aurora Island, Antilia, Isle of Demons, Island of California et Podesta Island. Le livre d’artiste entremêle prises de vues et textes avec de la cartographie et des sources documentaires glanées par l’auteure dans des instituts de géographie. Un ouvrage à la beauté fantomatique et fragmentée, à l’image de ces territoires à la fois présents et invisibles. L’artiste a également produit des installations (« Phantom Islands « , 2019) et des films comme Podesta island (France, Belgique, Micronésie / 2020 / 23′). Cette dernière, située sur les côtes chiliennes fut découverte en 1879 par le capitaine Pinocchio, et a ensuite été rayée des cartes en 1935 après que personne n’ait pu retrouver sa trace.
Livre en commande
Yves Marchand et Romain Meffre, Gunkanjima, l’île cuirassée, Steidl, 2013
Hashima est une petite île située au large de la côte sud-ouest du Japon dont le surnom de Gunkanjima (« île cuirassée ») est dû à son apparence de navire de guerre. Au 19e siècle un gisement de charbon fut découvert et l’île se transforma au fil du temps en un complexe industriel et urbain extrêmement dense, pour culminer à 5 259 habitants en 1959. Cette improbable ville-usine cernée par les eaux se dota d’hôpitaux, d’écoles, de cinémas, de boutiques, et même d’une maison close. Abandonnée depuis 1974, Hashima témoigne aujourd’hui de son passé à travers ses ruines, gigantesque épave destinée désormais au tourisme. Les deux auteurs l’ont photographiée entre 2008 et 2012, la révélant dans toute sa splendeur défaite : infrastructures délabrées, cours sombres envahies par la végétation, buildings austères aux fenêtre éventrées faisant face à la mer. Une beauté lugubre se dégage de cette ville fantôme qui semble figée dans le temps. Des images d’archives rappelle la vie d’avant des ouvriers et de leurs familles, réactivée par les nombreux effets quotidiens gisant tels quels, dans les appartements vidés à la hâte.
Muhammad Fadli et Fatris MF, The Banda journal, Jordan,jordan Édition, 2021
L’archipel indonésien des îles Banda, constitué de douze petites îles (172 km2) fut le théâtre de longs siècles de colonisation, de par sa situation géographique délimitant le point d’entrée des premières incursions européennes en Asie. Banda possédait également une particularité : elle était la seule source dans le monde des noix de muscade, épice aromatique très prisée au Moyen-Âge. Ce commerce lucratif fut ensuite l’origine d’une colonisation sauvage par les Néerlandais qui réussirent à s’emparer de Banda après avoir massacré la quasi-totalité de la population. Il s’ensuivit un monopole commercial et l’instauration du travail forcé. Le photographe Muhammad Fadli et l’auteur Fatris MF ont effectué de nombreux voyages sur l’île de 2014 à 2017, documentant les traces de ce passé colonial à travers les sites historiques, l’architecture, etc. Mais ce journal est aussi une chronique vivante de la vie actuelle des bandanais à travers leurs traditions, rites ou portraits d’habitants.
Rhiannon Adam, Big Fence, Pitcairn Island, Blow Up Press, 2021
Big Fence nous emmène sur les îles Pitcairn dans l’Océan Pacifique (25°4′0″S, 130°6′0″W), territoire connu pour son destin hors du commun : au 18e siècle, les révoltés de la frégate du Bounty accostèrent sur l’archipel pour ensuite s’y installer, fuyant la justice britannique. Les descendants de ces mutins et de leurs captifs tahitiens peuplent encore l’île aujourd’hui. La photographe irlandaise Rhiannon Adam, qui vécu trois mois sur l’île en 2015, relate à la fois ce lourd passé historique, et le présent, non moins pesant : cette communauté isolée a été entachée par des histoires de sévices sexuels sur enfants en 2004 (huit hommes condamnés, dont le maire). Big Fence entremêle ainsi archives, fac-similés de documents historiques, extraits de journaux, cartes géographiques grand format ou affiches de films avec les photographies de l’auteure. Un livre d’artiste superbe, relatant l’histoire de cet archipel, loin d’une image de « terre de lait et de miel sous le ciel du Pacifique » véhiculée notamment par le cinéma.
Grandes expositions
Ishimoto. Des lignes et des corps, Le Bal et Atelier EXB, 2024
Ce catalogue d’exposition offre une rétrospective d’un photographe japonais méconnu : Yasuhiro Ishimoto (1921-2012). Né aux États-Unis, il grandit au Japon sur l’île de Shikoku et débarque dans la cité moderne de Chicago en 1948. Il fera de cette ville américaine son terrain de jeu formel et expérimental. Artiste inclassable, Ishimoto va combiner dans son travail de multiples influences, et par là révéler sa singularité : la grande tradition documentaire américaine, l’esthétique minimaliste japonaise et les expérimentations du Bauhaus allemand héritée de ses cours de photographie à l’Institute of Design (de 1948 à 1952). Cette créativité va s’exprimer dans un noir et blanc somptueux, jouant avec les ombres, le contraste et la dimension graphique de la composition. L’aspect documentaire est là, mais comme décontextualisé, à l’image de sa série sur des gamins noirs-américains jouant dans les rues de Chicago. Une approche particulière qui se retrouvera dans les clichés pris à Tokyo, transfigurant également la ville par son regard unique.
Publié à l’occasion de l’exposition au Bal du 19 juin au 17 novembre 2024.
Femmes photographes japonaises, Éditions Textuel, 2024
Dans l’esprit de la publication Une Histoire mondiale des femmes photographes, cet ouvrage met en valeur le travail de femmes photographes japonaises, des années 1950 à nos jours. Une mise au point qui permet de rééquilibrer l’Histoire, « les femmes photographes ayant pratiqué tous les genres photographiques depuis l’introduction de ce médium au Japon« . Le catalogue d’exposition détaille vingt-cinq portfolios d’artistes de générations différentes, certaines reconnues et d’autres plus invisibilisées. Il présente également des livres de photographie conçus et signés par des femmes. Fleurs vénéneuses et dangereuses (Kiken a adabana,1957) de Toyoko Tokiwa fut probablement le tout premier, sur les travailleuses du sexe à Yokohama. Collages, photo performative (comme avec Mari Katayama), esthétique selfie drôle et surréelle avec Izumi Miyazaki, représentation de la lumière chez Rinko Kawauchi, etc., toute la richesse du médium lui-même se dévoile au fil des pages.
Publié à l’occasion de l’exposition « Quelle joie de vous voir » « (« I’m so happy you are here ») aux Rencontres d’Arles, été 2024.
Lucia Moholy : Exposures, Hatje Cantz, 2024
Lucia Moholy ((1894 – 1989), née Lucia Schulz, fut une photographe tchèque longtemps oubliée de l’histoire de la photographie. Technicienne de chambre noire à l’école du Bauhaus dans les années 1920, elle en devint photographe indépendante en 1923 et photographia son architecture (à Weimar et Dessau), influencée par le mouvement de la Nouvelle Objectivité. En 1925, l’ouvrage Malerei, Photografie, Film est publié sous le seul nom de son mari, László Moholy-Nagy, alors qu’elle est co-autrice. A l’arrivée des Nazis elle fuit Berlin en 1933, laissant derrière elle près de six cents négatifs. Une œuvre également largement pillée par Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus, sans qu’elle soit créditée. S’ensuit une vie d’exil à Paris, Londres, puis la Suisse après la guerre. Artiste prolifique elle réalisa des portraits dans son studio londonien, fut documentariste, enseignante, travailla au Moyen-Orient au nom de l’UNESCO, etc. Le catalogue envisage son travail de manière exhaustive pour la première fois, (écrits et photographie) et s’accompagne de textes critiques.
Publié à l’occasion de l’exposition à la Kunsthalle Praha du 30 mai au 28 octobre 2024 et au Fotostiftung Schweiz à Winterthur du 8 février au 1er juin 2025.
Classiques à voir ou à revoir
Stephen Shore, Véhiculaire et vernaculaire, Atelier EXB / Fondation Henri Cartier-Bresson, 2024
Ce catalogue d’exposition rend hommage au travail du grand photographe américain Stephen Shore (né en 1947), en présentant plusieurs séries sous forme chronologique, de 1969 à 2021. Stephen Shore n’a eu de cesse de représenter la culture américaine populaire à travers ses clichés réalisés pendant des road trip (le plus souvent au volant de sa voiture), enregistrant ses voyages à la manière d’un journal visuel quotidien. Au cours du temps l’esthétique du snapshot fera place à la chambre photographique grand format, mais sans dévier des sujets : une photographie vernaculaire produisant des images de stations-service, parking, carrefours de villes ou enseignes publicitaires, comme dans ses deux plus importantes séries, American Surfaces (1972-1973) et Uncommon Places (1973-1986). Il fut également un pionnier dans l’utilisation de la couleur. Il expérimente depuis 2020 des appareils montés sur drones, explorant à nouveau le paysage américain, rural ou urbain, mais vu du ciel cette fois-ci. Chaque série est présentée par l’auteur, sous la forme d’un dialogue avec Clément Chéroux.
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Jamel Shabazz, Albums, Steidl, 2022
Jamel Shabazz, né en 1960, est un photographe afro-américain né dans le quartier de Brooklyn à New York. Albums résume son travail effectué pendant les années 1970-1990, et est présenté sous la forme d’albums photo composés de petits tirages classés par thèmes. Une collection de portraits de rue pris à Brooklyn, dans le Queens et le West Village. Une radiographie fidèle des quartiers populaires de New York de l’époque se dessine en feuilletant ses classeurs en skaï, avec les styles de vie propre à la communauté afro-américaine. Des anonymes posent devant son objectif, dans des attitudes naturelles ou soigneusement étudiées, ces dernières composant le street style arboré fièrement par les fans de Hip-Hop. Il se dégage de ces séries une extraordinaire vitalité, et l’on sent une proximité et une empathie évidentes avec toutes les familles, amis ou individus photographiés. Jamel Shabazz abordait ainsi ses modèles, ses classeurs sous le bras comme passeport : « Quand je te regarde, je vois de la grandeur. Si tu veux bien, j’aimerais prendre une photo de toi et de ta bande« .
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Louis Carlos Bernal, Aperture, 2024
Le photographe américain Louis Carlos Bernal (1941-1993) fut l’un des représentants les plus importants de la culture des mexicains vivants aux États-Unis, plus communément désignés sous le terme de « Chicanos ». « Mes images parlent des liens religieux et familiaux que j’ai connus en tant que Chicano. Je me suis intéressé au mysticisme du Sud-Ouest et à la force des valeurs spirituelles et culturelles du barrio« . Il va parcourir les rues du Texas jusqu’à Los Angeles à la fin des années 1970 et 1980, photographiant les habitants au gré des rencontres. Mais il va surtout les immortaliser dans leurs appartements, délivrant un témoignage précieux de leur vie quotidienne. Les modèles prennent la pose dans leurs salons, chambres ou jardins, avec les photos de proches punaisées aux murs, figures familiales côtoyant la plupart du temps ex-voto ou autres images pieuses. Saints, bougies et objets kitch se dévoilent dans ces intérieurs peints en couleurs chaudes (rose, bleu ou vert), décors intimes traduisant une culture populaire spécifique que Louis Carlos Bernal documenta toujours avec respect.
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Penser la photographie
Joel Meyerowitz, Question de couleur, Textuel, 2024
Joel Meyerowitz (États-Unis,1938) est considéré comme l’un des pionniers de la photographie couleur, aux côtés de William Eggleston et de Stephen Shore. L’ouvrage est construit par les souvenirs de l’auteur qui revient sur ses années d’apprentissage de façon chronologique, de 1962 aux années 1970. Joel Meyerowitz, ami de Tony Ray-Jones et de Garry Winogrand, a très tôt expérimenté les pouvoirs de la couleur, pensant « qu’il y avait plus de tension dramatique, de poésie, de sensibilité » que dans le noir et blanc : Il achète dès 1963 deux Leica, le premier chargé avec un film couleur, l’autre avec un film noir et blanc, capturant la même image avec les deux appareils pour comparer les effets. Des « images jumelles » qui se retrouvent dans le livre, accompagnées d’anecdotes et de commentaires. Question de couleur délivre le témoignage passionnant de ce grand coloriste photographiant la vie dans la rue en Europe et aux États-Unis, telle qu’elle apparaissait, vivante, colorée, dynamique.
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Jeune photographie
Rosie Marks, Mount Nelson, RVB Books, 2024
Rosie Marks (GB,1993) a photographié l’hôtel Mount Neslon au Cap en Afrique du Sud, répondant à une commande artistique du groupe hôtelier de luxe Belmond. Mais c’est à travers son regard décalé que l’on découvre l’hôtel aux deux piscines, spa et autres commodités propres à répondre aux désirs d’une clientèle fortunée. La jeune artiste londonienne s’est focalisée sur les coulisses, documentant avec empathie la vie quotidienne des employés. Un personnel actif en cuisine, dans les bureaux, ou nettoyant les piscines, travailleurs de l’ombre évoluant parmi ce complexe résidentiel « peint en rose en 1918 pour la paix » et à la « grandeur coloniale restaurée« . L’humour, certainement anglais de Rosie Marks, se devine dans les clichés de ces canards évoluant dans le parc, picorant çà et là des restes de nourriture étoilée, ou barbotant dans les piscines. Mount Nelson, par-delà son univers rose bonbon, laisse entrevoir une dimension politique que la jeune artiste distille avec finesse et légèreté.
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Livres d’artiste
Jeff Wall, A sudden gust of wind (after Hokusai), TBW Books, 2023
Cette œuvre hybride, inspirée par une gravure sur bois du peintre, dessinateur et graveur japonais du XVIIIᵉ siècle Hokusai, n’est pas simplement un livre-objet mais également une photographie, et une installation : composée de 98 feuilles de papier léger non reliées insérées dans un coffret, A sudden gust of wind se transforme en œuvre accrochée au mur en accolant chaque feuille pour recomposer l’image finale (377 X 229 cm une fois assemblée). Le célèbre artiste visuel canadien, adepte de la photographie mise en scène, a collaboré avec TBW Book pour créer ce livre d’artiste qui, de par sa nature, est également entré dans les collections de la Tate Modern londonienne. Le paysage de rizières dominé par le mont Fuji de l’artiste japonais se mue en une œuvre contemporaine, mais laissant toujours les quatre personnages lutter contre le vent de façon dérisoire.
L’œuvre est visible au musée Les Abattoirs, Toulouse, dans le cadre de l‘exposition « Ouvrir les yeux », jusqu’au 18 mai 2025.
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Mikael Siirilä, Here, in absence, IIkki books, 2024
L’ouvrage, numéroté et en édition limitée, est le résultat de la collaboration avec le photographe finlandais Mikael Siirilä (né en 1978) et les musiciens Jason Corder et Craig Tattersall. Le photographe, qui travaille uniquement en argentique noir et blanc et à la chambre noire, a associé ses images fracturées et minimalistes avec la musique ambiant expérimentale du duo. Une impression de silence introspectif se dégage de Here, in absence, qui couvre son travail des quatre ou cinq dernières années. Une « langue abstraite » partagée par les trois artistes, qui proposent un voyage sensoriel et musical. Toutes les publications d’IIkki Books incluent dans leurs livres un lien bandcamp permettant de télécharger la bande-son du livre, à écouter en feuilletant les pages.
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Akimitsu Takagi,The tattoo writer, Pascal Bagot, 2024
Le célèbre écrivain de romans noirs Akimitsu Takagi (1920-1995) acquit sa notoriété après son premier polar publié en 1948, Irezumi (« Shisei Satsujin Jiken »), qui déroulait une enquête autour de meurtres de personnes tatouées dans le Tokyo d’après-guerre. Sa passion du tatouage l’amena à photographier cette pratique mal considérée (elle fut interdite de 1872 à 1948) pendant l’écriture d’Irezumi. Utilisées comme documentation, les photographies vont dormir dans la bibliothèque familiale pendant de nombreuses années pour finalement être exhumées par le journaliste Pascal Bagot en 2017. Les plus grands tatoueurs de l’époque, leurs clients et clientes apparaissent sur ces clichés noir et blanc comme un témoignage rare et précieux d’une époque et d’un art traditionnel révélé dans sa pratique.
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La trilogie Sakasa (« Contraste ») de Chloé Jafé, publiée par The (M) Éditions
Chloé Jafé (née à Lyon en 1984) est diplômée du Central Saint Martins College of Art and Design (Londres) et pratique la photographie depuis 2009. Son travail s’exprime majoritairement dans un noir et blanc contrasté, parfois rehaussé de touches de peinture. Une approche documentaire qui s’exprime toujours par un biais intimiste, au plus près des sujets photographiés, et traversée par une sensualité élégiaque. Elle a vécu au Japon de 2013 à 2019, apprenant sa langue ; il en résulte « Sakasa », trilogie consacrée à la culture nipponne. Elle est représentée par la galerie Akio Nagasawa à Tokyo, et par la galerie Echo 119 en France.
I give you my life (2023)
Premier volet de sa trilogie, I give you my life s’intéresse aux femmes de yakuzas tokyoïtes. Chloé Jafé a réussi, après six ans d’effort, à s’immiscer dans le monde fermé et ultra codé des boss (« oyabun ») japonais, et rencontrer quelques-unes de leurs épouses, filles ou maîtresses. Celles-ci se dévoilent dans l’ouvrage, à la fois physiquement en exhibant leurs tatouages (« irezumi »), et intimement, de par leurs confidences de femmes de mafieux, retranscrites en écriture manuscrite japonaise.
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Okinawa mon amour (2023)
L’ouvrage résume une « errance photographique et sentimentale » sur l’île d’Okinawa, ravagée pendant la Seconde Guerre mondiale. L’auteure dresse un portrait underground de l’île et d’habitants marginalisés. L’ouvrage est agrémenté de notes anonymes tirées de livres d’or de love hotels, et d’images imprimées sur calques, ces dernières provenant de négatifs des années 70 datant de la guerre et trouvés dans une maison abandonnée.
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How I met Jiro (2023)
Ce dernier volet a pour décor l’arrondissement déshérité de Nishinari, dans l’ouest d’Osaka. Chloé Jafé a rencontrée Jiro, ancien chef yakuza de Tokyo tenant aujourd’hui un stand de yakitori, qui l’a introduite dans le quartier. L’occasion une nouvelle fois de réaliser des portraits de gens vivant en marge de la société, accompagnés, comme à son habitude, de confidences recueillies auprès de ces « déchus d’Osaka« .
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